AMÉRIQUE ET CHINE: COEXISTENCE ET TOLÉRANCE OU LE SYNDRÔME DE THUCYDIDE?* Communication de Maria Negreponti-Delivanis au Colloque de Mostar | octobre 2018


AMÉRIQUE ET CHINE: COEXISTENCE ET TOLÉRANCE OU LE SYNDRÔME DE THUCYDIDE?*


Communication de Maria Negreponti-Delivanis au Colloque de Mostar | octobre 2018



Introduction
Le « piège de sécurité » ou syndrôme de Thucydide, tel que celui-ci l'a analysé dans son livre sur la Guerre du Péloponnèse, est de nouveau d'actualité, après deux mil cinq cents ans. Sa réactualisation s'explique par les relations de plus en plus tendues entre les deux superpuissances, les États-Unis et la Chine, et par le besoin de répondre à cette question angoissante, à savoir est-ce qu'elles continueront de coexister dans un climat de tolérance réciproque, de guerre froide commerciale avec la création de zones grises comme récemment, ou bien au contraire, les prévisions menaçantes de Thucydide vont-elles s'avérer correctes et conduire à l'horreur d'une troisième guerre mondiale.
Comme on le sait, selon Thucydide[1], un conflit éclatait entre deux villes (dans la Grèce antique) lorsque l'une avait peur de perdre sa souveraineté, comme cela est apparu pour la première fois à Athènes, dès que Sparte entreprit de s'emparer d'une part de son empire, alors absolu. « Le refus des Athéniens d'utiliser leur sens commun dans leurs relations avec les autres hommes, et leur persistance à étendre constamment leur hégémonie en se basant sur leur force stratégique et économique, est quelque chose que les Spartiates (personnification de la peur provoquée par l'ennemi) évidemment ne pouvaient tolérer »[2]. C'est cette peur qui est à l'origine de la Guerre du Péloponnèse. C'est cette même peur qui risque de renaître aujourd'hui, sous la forme de menace d'éviction de l'empire américain par l'économie de la Chine en croissance très rapide, et le refus des États-Unis d'accepter son influence internationale croissante. Par conséquent, on peut aisément comprendre les inquiétudes qu'a récemment provoquée la fuite de l'information selon laquelle le professeur de Politique internationale à Harvard, Graham Allison, a été invité à la Maison Blanche afin d'informer le Conseil de Sécurité Nationale (NSC) sur la question de savoir si et comment l'Amérique et la Chine pourraient échapper au « piège » de Thucydide[3].
L'ascension de la Chine vers le sommet du monde a suivi une voie spectaculaire, dans l'histoire mondiale, puisqu'il y a un peu moins de quatre décennies elle était une économie pauvre et marginalisée, et qu'elle a aujourd'hui atteint le sommet de la pyramide mondiale. Ce miracle a été rendu possible grâce à l'augmentation de son PIB, qui a été multiplié par 34 entre 1971 et 2013. La grande opportunité de la Chine a indiscutablement été la prévalence de la mondialisation dans les années 1970. Plus spécifiquement, sur la base des données historiques d'Angus Maddison[4], la Chine était en 1950 le pays le plus pauvre au monde, le revenu individuel de ses habitants était deux fois inférieur à celui de l'Afrique et 20 fois inférieur à celui de l'Amérique. En 2010, le PIB par habitant de la Chine n'était plus que de quatre fois inférieur à celui de l'Amérique. En 2016, de trois fois seulement. De 1978 à aujourd'hui, la Chine a sorti de la pauvreté 700 millions de ses habitants qui ont ainsi fondé la classe moyenne. Plus particulièrement, on estime[5] que jusqu'en 2025, les deux tiers de la population chinoise appartiendront à la classe moyenne urbaine, et que les revenus des ménages augmenteront d'environ 6% par an, alors qu'en 2015, la classe moyenne ne constituait que 40 % de la population.
La Chine est déjà la plus grande économie du monde en matière d'industrie, d'exportation et d'importation de biens et possède un volume considérable de devises étrangères. Dénombrant ses objectifs d'avenir, la Chine, se basant sur un plan sérieux et soigneusement étudié dans tous ses détails, a récemment déclaré[6] qu'en 2035, elle serait « la première au monde dans les nouvelles technologies », et aussi qu'en 2050 elle serait « la première puissance à assurer la prospérité à tous ».
La menace d'une troisième guerre mondiale entre l'Amérique et la Chine semblait insignifiante jusqu'au Congrès du Parti Communiste Chinois qui notifia le début du deuxième mandat de Xi Jinping. En effet, jusqu'au Congrès, la Chine considérait l'Occident avec tolérance et humilité. La suite, toutefois, révéla que son attitude tolérante à l'égard de l'Occident n'était qu'apparente et peut-être même hypocrite, dans le but manifestement de lui laisser croire qu'elle ne veut rien d'elle. En effet, après le Congrès, l'image de la Chine changea brusquement et celle-ci se montra ouvertement provocante à l'encontre de l'Occident, faisant valoir sa supériorité et ne laissant aucun doute quant à son intention de succéder aux États-Unis sur la scène internationale. Ce syndrôme de l'arrogance chinoise est clairement lié à sa culture ancienne, et s'est révélé dans les déclarations des responsables Chinois, selon lesquels « il n'y a pas de civilisation comparable à celle de la Chine ». Dans le même temps, les dirigeants du Parti Communiste Chinois dénigrent le système du libéralisme démocratique occidental, arguant que « tout en assurant la liberté, il a affaibli l’Occident ».
À cet égard, il faut prendre en compte deux nouvelles évolutions de l'économie et de la politique mondiales, dynamiques semble-t-il, qui influencent le problème de la succession sur la scène internationale, et y ajoutent une nouvelle dimension. Il s'agit de la domination, dans le monde, desdits « gouvernements populistes » qui ne sont plus l'exception et tendent à devenir la règle[7], et du recul de la mondialisation qui s'accompagne de la montée du nationalisme et de l'intensification de la guerre commerciale (et du protectionnisme).
Une question, intéressante mais pour l'heure sans réponse, se pose : Cette montée du nationalisme et du populisme renforce-t-elle ou apaise-t-elle la tension entre la Chine et les États-Unis ? Augmente-t-elle ou réduit-elle la probabilité d'un conflit armé ?
Je tends à soutenir que ces deux évolutions sont tout aussi probables l'une que l'autre. D'abord, il est probable que la montée du nationalisme aux États-Unis amenuise le risque de guerre avec la Chine car, comme le cours des choses jusqu'à aujourd'hui le laisse apparaître, le nouveau président Américain ne s'intéresse pas au monde, du moins par rapport à ses prédécesseurs, mais s'intéresse davantage à l'Amérique, qu'il place « d'abord ». Ici, toutefois, le contenu de sa devise « L'Amérique d'abord » doit être défini.
Mais le président Chinois veut lui aussi « rendre sa grandeur à son pays ». Or, les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif commun sont très différents. Pour Xi Jinping, cet objectif pour être atteint, demande que tous fassent un effort, tandis que, concernant l'Amérique, Trump cherche à réduire les impôts des riches. La devise du président si souvent répétée « L'Amérique d'abord » promeut un objectif indifférent aux droits des autres pays en dehors de l'Amérique et abolit la solidarité humaine, donnant au président Chinois le droit d'affirmer que « le contenu de la Démocratie occidentale est dépassé et contesté », alors que le système chinois garantit l' « unité sociale »[8].
À propos des gouvernements populistes qui sont à la tête aussi bien l'Amérique que la Chine, compte tenu de leurs nombreuses particularités et différences propres[9], il est difficile de décider si ces facteurs empêcheront ou encourageront un conflit entre les deux superpuissances. Le fait que les gouvernements populistes ont, en général, à leur tête un homme fort, peut faciliter une compréhension mutuelle, ce qui constituerait un facteur dissuasif, sans qu'une évolution contraire soit toutefois à exclure. La difficulté majeure, et qui prime sur le reste, concernant les relations américaines et chinoises est le comportement fortement imprévisible et non conventionnel du président Donald Trump.
Dans cet article, nous allons tenter d'explorer les risques de conflit armé, tels que détaillés dans les travaux pertinents de Thucydide, et entièrement adoptés par Graham Allison. Sachant qu'il n'est pas possible de clore cette étude par des conclusions absolues, je séparerai l'analyse qui, dans la première partie, fera référence à des facteurs, en principe, dissuadant la possibilité d'un conflit entre les deux superpuissances, et dans la deuxième partie je rechercherai les éléments et les données susceptibles de provoquer une troisième guerre mondiale. Malgré les difficultés évidentes du sujet en raison des nombreuses et graves incertitudes qui l’entourent, je dirais que cette problématique s'impose à cause des risques terribles qu’elle implique, et que tous les efforts pour les explorer ou les prévenir méritent d’être encouragés.
 
 
 
 
Partie I. Facteurs susceptibles de réduire les risques de guerre
 
L'émergence de certaines tendances relativement récentes dans le monde semble écarter tout risque de guerre entre les deux superpuissances, les États-Unis et la Chine. L'impact de ces développements peut être perçu à court et à long terme.
 
A. À court et moyen terme
Dans ce domaine, le facteur décisif pour la paix ou la guerre est, selon Thucydide, l'intensité du désir de souveraineté mondiale des États-Unis par rapport à celui de la Chine. Bien que les États-Unis donnent l’impression de considérer comme allant de soi qu'ils vont garder leur souveraineté mondiale, la réalité est différente, et de nombreuses évolutions indiquent que leur souveraineté s'est réduite.
Commençons par le retrait de la présence américaine observé sur la scène internationale, inauguré avec Barack Obama, mais qui a acquis un cadre théorique avec Donald Trump. Je me réfère plus particulièrement à son slogan sans cesse répété « L'Amérique d'abord » et dont le contenu demande, bien sûr, à être clarifié. Ce slogan est complété par cet avertissement du président Américain[10] : « Que chacun s'occupe de sa propre maison ».
Si ces deux slogans-ci de Donald Trump sont mis en relation avec d’autres positions telles que son opposition pratique à la mondialisation et au fonctionnement des organisations internationales et son refus d’adhérer à des accords internationaux ou d'y rester, cela renforce l'hypothèse selon laquelle la mise en œuvre de « L'Amérique d'abord » sera entreprise principalement à l'intérieur des frontières nationales, et non à travers le monde. Et si cette interprétation de « L'Amérique d'abord » s'avère finalement correcte, cela signifiera l'éloignement du risque de guerre pour les mêmes raisons qui ont déclenché la guerre du Péloponnèse. Cet argument est également étayé par le fait que le président Américain a affirmé, dans de nombreux cas de coopération internationale, sa conviction que l’Amérique a été exploitée par la mondialisation.
Le poids des hypothèses ci-dessus est également renforcé par des évolutions déterminées qui obligent finalement l'Amérique à réduire sa présence dans le monde. Ce recul est ainsi peut-être la conséquence inéluctable de la baisse chronique de la part des États-Unis dans le PIB mondial. Plus précisément, celle-ci était de 50 % à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, était descendue à 22,5 % en 1985, et n'est plus que de 15,1 % aujourd'hui, tandis qu'elle devrait se réduire encore davantage, jusqu'en 2023 et atteindre 13,7 %. Cette baisse chronique, à long terme, rend difficile le maintien d'une puissante machine militaire capable d'intervenir dans le monde entier, comme par le passé, car elle implique la nécessité de réduire la consommation interne et une augmentation des impôts. Depuis 2001, les États-Unis consacrent 561 milliards de dollars par an à des fins militaires et, s’ils décident de continuer à intervenir militairement dans le monde, on estime qu’ils devront dépenser 756,9 milliards de dollars en plus par an entre 2019 et 2023, soit en moyenne pour les cinq prochaines années, environ 196 milliards de dollars[11]. En outre, les échecs fréquents et importants essuyés par les États-Unis les dissuadent de poursuivre leurs opérations militaires au même rythme que par le passé, ce qui signifie que ce ne sont pas toujours eux qui dominent dans les conflits internationaux. C’est la raison pour laquelle Donald Trump encourage les pays eux-mêmes impliqués dans la guerre à s’engager, et en particulier à participer aux dépenses, en les exhortant à ne pas attendre que la solution leur vienne de la seule Amérique, qui, selon des déclarations du président Américain, a l'intention d'utiliser les interventions militaires uniquement comme une arme punitive.
Et sur la base de cette initiative de Donald Trump, est renforcée l'idée selon laquelle la domination mondiale semble se faire principalement aux États-Unis et moins dans la mondialisation, dont de nombreuses caractéristiques ont déjà été officiellement rejetées par le président Américain.
Même chose du côté de la Chine qui, au moins pour les dix prochaines années, ne semble pas disposée à dominer le monde par un conflit armé. Étant en train de développer une classe moyenne forte, elle est davantage attirée par ses efforts pour améliorer le niveau de vie de ses citoyens et pour diffuser, utiliser et exploiter les nouvelles technologies, que par l'idée de déclencher une guerre avec les États-Unis. À cette réticence contribue également de manière décisive la politique démographique sévèrement suivie au cours des dernières décennies. L'interdiction récemment levée, pour les couples Chinois, d'avoir un deuxième enfant est un puissant facteur de dissuasion[12]. Un autre facteur propre à décourager l'envie d'un conflit entre les États-Unis et la Chine est que celle-ci n'est pas prête militairement par rapport aux États-Unis, bien qu'elle se prépare de manière intensive et systématique à la guerre à la fin du 21e siècle. J'ajouterais le fait que les États-Unis se montrent assez tolérants envers la Chine, à l'exception de la guerre commerciale.
Il convient également de mentionner, comme moyen de dissuasion, le recul de la mondialisation, associé à la montée inéluctable du nationalisme. Le nouvel environnement international intègre ainsi certaines caractéristiques spécifiques qui changent radicalement les normes de la domination mondiale traditionnelle, normes que Thucydide juge toutefois statiques. La devise de Donald Trump « L'Amérique d'abord », associée au recul de la mondialisation et aux vastes horizons qui s'ouvrent avec la domination de la nouvelle route de la soie, est susceptible de renvoyer à un paysage différent de celui de la domination mondiale traditionnelle. On peut donc facilement imaginer plusieurs positions, qui soient toutes en mesure de satisfaire, d'une manière ou d'une autre, les exigences de la domination du monde. L'Amérique qui renforcera son économie nationale en limitant ses contacts avec d'autres économies pourrait se sentir puissante et à la tête du monde, sans avoir à réguler l'économie mondiale. De son côté, la Chine, qui sera au centre d'un nouveau Plan Marshall dont le contenu sera différent du premier et qui sera mis en œuvre et géré par elle-même, jouera un rôle régulateur dans l'économie mondiale, mais avec certaines restrictions. Je me réfère ici à la « nouvelle route de la soie » qui deviendra, sauf imprévu, la nouvelle mondialisation chinoise.
La décision de l'Amérique de réduire sa présence, impliquant immanquablement une limitation de sa souveraineté dans le monde, bien que déterminée, a cependant donné lieu à une vive réaction, car un tel changement de politique étrangère pourrait s'avérer finalement plus coûteux que celle suivie jusqu'à présent et rendre le monde « beaucoup plus dangereux et instable »[13]. Et pas seulement, car les États-Unis sont accusés de ne pas être intervenus à temps en Syrie pour éviter les atrocités et la violence de cette guerre qui dure déjà depuis sept ans, et même de s'abstenir d'intervenir dans ce qui se passe en Birmanie et qui est inacceptable, alors que 680 000 personnes, soit ont été tuées, soit ont été forcées de quitter leur maison pour échapper à la mort[14]. Bien sûr, cela a été précédé par des décennies durant lesquelles l'intervention des États-Unis dans le monde entier pour prévenir les conflits et les catastrophes était considérée comme un droit et une obligation. Ce passé américain particulier justifie les préoccupations et les critiques maintenant que cette tradition semble s'être interrompue. Plus spécifiquement, les États-Unis se sont vus reprocher par le passé le fait que leurs interventions militaires dans le monde, qui souvent ne se terminaient pas bien, servaient leurs propres intérêts et ne constituaient donc pas une aide réelle[15]. Avec le retour de l’État-nation sur la scène internationale et le recul de la mondialisation, l’existence d’un « gendarme international » est certainement moins nécessaire qu’avant, alors que chaque pays devra être soi-même responsable de sa sécurité. Peut-être que cette formule apportera plus de paix et moins de violence au monde. L'avenir le montrera.
Pour conclure, concernant la possibilité d’un conflit de guerre entre les deux superpuissances, du moins à court terme, il semble qu’il n’y ait actuellement aucune volonté de leur part de s’engager dans une forme traditionnelle de guerre, contrairement à ce que croit Graham Allison, celui qui a adopté les vues de Thucydide.
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               
B. À long terme
Bien que la plupart des évolutions de l’économie mondiale, étant donné que leurs conséquences se rapportent à un avenir inconnu, peuvent être interprétées à la fois comme des facteurs de dissuasion ou d'encouragement d'un conflit armé, je m'intéresserai dans cet alinéa aux aspects qui, selon moi, sont plus susceptibles d'empêcher que de provoquer à long terme un conflit entre les deux superpuissances.
Il s'agit d'abord de la colère du président Américain contre la Chine, car il la croit responsable de l'énorme déficit commercial des États-Unis, estimé[16] à environ 375 milliards de dollars[17], un véritable cauchemar pour lui. Donald Trump reproche également à la Chine les pertes d'emplois dans l'industrie américaine et de ne pas respecter, dans certains cas, les conditions du commerce international[18]. En effet, l'écart est considérable entre la valeur des importations chinoises en provenance des États-Unis, qui n'étaient que de 130,4 milliards de dollars en 2017, et celle des États-Unis en provenance de Chine qui, pour la même année, s'élevaient à 505,6 milliards de dollars. Les échanges avec la Chine représentent les deux tiers du déficit commercial des États-Unis. En particulier, la baisse de la production industrielle américaine, de 40 % pour la période 2000-2007, et la perte d'emplois dans l'industrie  dans l’Ohio, le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin –, environ un million sont dus à l’augmentation des importations en provenance de Chine depuis son entrée dans l’OMC. Et sur une période plus longue, c'est-à-dire de 1999 à 2011, les pertes d'emplois dans l'industrie américaine s'élèvent à 2,4 millions[19]. En intégrant l'OMC, la Chine a dû ouvrir ses marchés aux produits américains. Mais cette obligation a abouti à un véritable fiasco pour les États-Unis puisque le droit de douane pour les voitures américaines, entre autres, a été fixé à 25 % en Chine, contre seulement 2,5 % pour les voitures chinoises importées aux États-Unis. La Chine, pour apaiser les États-Unis, a proposé d’acheter de grandes quantités de produits américains. Mais la compétitivité réduite des produits américains, ainsi que les diverses restrictions à l'exportation de marchandises considérées comme sensibles par le gouvernement américain, ont minimisé l'intention de la Chine[20].
Selon le président Américain, les États-Unis ont été victimes d’une exploitation multiforme et sa réaction marque le début d’une guerre commerciale qui s'intensifie déjà. Cette guerre, qui se généralisera inévitablement, trouve son origine dans la vision mercantiliste de Donald Trump, selon qui « le commerce international ne rapporte que lorsqu'il crée un excédent de la balance commerciale ». Ce qu'il est particulièrement important de souligner, et qui écarte le risque d’une guerre entre les États-Unis et la Chine, c’est l’attitude très tolérante de celle-ci à l’égard de l'Amérique, promettant de mettre en œuvre des politiques visant à réduire le déficit commercial de l'Amérique, bien que le vrai problème réside dans la compétitivité inférieure des produits américains par rapport aux chinois.
Dès son arrivée à la Maison-Blanche, le président Donald Trump a annoncé son intention d’imposer des mesures sévères contre la Chine dont il juge les échanges responsables de l'augmentation du déficit commercial de son pays. Cette intention est déjà mise en œuvre par l'adoption de mesures de protection, à savoir des droits de douane contre la Chine, d'une valeur allant jusqu'à 60 milliards de dollars comme annoncé, auxquels sont venus s'ajouter 100 milliards de dollars supplémentaires. Il va sans dire que ces mesures ne se limiteront pas au seul commerce entre les deux superpuissances, mais qu’elles se généraliseront au monde entier. La Chine contre-attaque déjà et annonce des droits de douane sur des produits de secteurs touchant particulièrement les États-Unis, tels que l'agriculture et son industrie, mais qui nuiront également à la Chine, où les prix de nombreux produits alimentaires augmenteront. 
Face aux annonces successives de Donald Trump qui relèvent de la guerre commerciale, surtout contre la Chine mais pas seulement, la Chine se montre sereine et optimiste, convaincue que ces mesures ne pourront pas lui nuire. Et en effet, les droits de douane sur les exportations chinoises vers l’Amérique sont estimés à 0,4 % de son PIB. Par contre, les États-Unis sont confrontés à un risque mortel, résultant des pressions que la Chine pourrait exercer sur la dette américaine, estimée à 1,2 trillons de dollars. Des pressions qui constituent certes une menace pour la Chine, mais dont on ne peut exclure qu'elle ne les exercera pas, notamment si elle considère que les mesures agressives prises par les États-Unis à son égard sont excessives et insupportables.
La guerre commerciale, qui ne cesse de s’intensifier, pourrait se transformer en un relâchement des tensions des deux côtés et éventuellement permettre d'éviter la guerre. On pourrait affirmer la même chose par rapport à la soudaine prise de conscience de l'Amérique se disant exploitée par la Chine qu'elle accuse de « voler les technologies », de « ne pas respecter les règles du commerce international », de « protéger ses plus grosses entreprises » et de « dresser des obstacles à l'implantation d'entreprises occidentales sur son territoire ».
De l'autre côté, celui de la dissuasion, on peut affirmer que les « zones grises », approche déjà adoptée par la Chine et la Russie, visent à garantir des avantages similaires à ceux promis par une guerre d'où elles sortiraient victorieuses. Dans ces « zones grises » figurent le chantage économique, la propagande, les attaques électroniques, etc. Il s'agit d'une démarche que l'on pourrait qualifier de « guerre hybride ».
En conclusion de la Partie I, on peut dire que l'éloignement du risque de guerre entre la Chine et les États-Unis à court ou plus long terme semble démentir l'hypothèse de Thucydide, ainsi que sa réactualisation par Graham Allison. C'est au recul de la mondialisation qu'est essentiellement attribué la diminution du risque de guerre, suivi du protectionnisme et du retour de l’État-nation. Il convient de noter à cet égard que la fin de la mondialisation, telle qu’elle a fonctionné pendant environ cinquante ans, n’est pas uniquement le résultat de la colère du président Américain, mais bien de l'évolution déterminée de la rotation entre mondialisation et protectionnisme, dont le cycle, d'une durée d'environ 80 ans, comporte deux cycles de 40 ans[21].
Dans ce nouvel environnement international, on pourrait faire valoir que la guerre commerciale permet un relâchement des tensions entre les États-Unis et la Chine, et éloigne ainsi le risque de guerre. Pendant ce temps, la Chine, pour autant qu'il soit possible de le prévoir, aura installé sa domination sur la nouvelle route de la soie et il ne sera plus possible alors de changer la nouvelle situation ni de recourir à la guerre.
 
Partie II. Facteurs susceptibles de provoquer une guerre
 
Il est clair qu'une approche rationnelle voudrait que la guerre entre les États-Unis et la Chine soit rejetée par les deux parties. Malheureusement, ce n'est pas le cas, et cela signifie que, malgré une apparente volonté de tolérance, entrent en jeu des éléments multidimensionnels qui ne suscitent, pour l'heure, pas beaucoup d'enthousiasme mais plutôt des craintes justifiées, car ils confirment la position de Thucydide concernant le caractère inéluctable de la guerre. Il convient de revenir sur certains d'entre eux :
 
A. Dans le domaine économique
Bien que la guerre commerciale ait commencé, comme cela a été dit dans la première partie sans provoquer de tensions particulières, elle suscite de vives inquiétudes, les États-Unis ayant officiellement déclaré que la Chine est leur ennemi économique[22]. Selon cette déclaration, la Chine est perçue comme un concurrent mettant en péril la nouvelle stratégie de sécurité de l'Amérique, ce qui nécessite que des mesures soient prises pour lutter contre la propagande et la propagation de fausses informations par les médias chinois[23]. Cette prise de conscience tardive des États-Unis face au danger que représente la Chine concerne pour l'essentiel le domaine extrêmement sensible des nouvelles technologies, dont l'influence de chaque économie sur la scène internationale dépendra presque entièrement de l'évolution. Dans ce domaine, de nombreux signes, sinon des preuves, donnent la priorité à la Chine. C'est pourquoi la colère de l'Amérique, qui se manifeste par des annonces continuelles de tarifs sur les produits chinois importés[24], s'étend en même temps à des mesures non liées en principe au commerce, mais beaucoup plus radicales et plus menaçantes pour l'économie chinoise, et augmentant aussi le risque de guerre. Il s'agit notamment de l'adoption de mesures répondant à un rapport de 2017 rédigé par une commission spéciale du Congrès sur les relations entre les États[25]. Ce rapport indique que les investissements chinois en Amérique ont pour objet stratégique les technologies de l'information et de la communication, l'agriculture et la biotechnologie. L’administration américaine accuse maintenant directement les Chinois de voler sa technologie et d’exploiter la liberté d'investir en Amérique, alors que sur leur propre territoire, ils ont imposé de nombreuses restrictions sur les investissements américains. Le gouvernement de Donald Trump contrôle pour la première fois le type d'investissements chinois dans le but clair de décourager ceux qui se concentrent dans des secteurs où la Chine essaie de s'imposer, tels que l'Intelligence Artificielle et les voitures autonomes. D'après les résultats de leur enquête, le vol intellectuel pratiqué par la Chine a coûté 1 trillion de dollars aux États-Unis. Ceux-ci, afin de mettre fin à cette situation d'exploitation, ont retiré de l'oubli une loi de 1977 utilisée au lendemain de la catastrophe du 11 septembre 2001. Cette loi[26] donne au président des pouvoirs spécifiques pour répondre à des « menaces inhabituelles et exceptionnelles » et peut désormais s’étendre à toute forme d’investissement, même s’il ne constitue pas une menace. L’objectif de l’Amérique est d’entraver les investissements chinois de haute technologie directement ou indirectement impliqués dans le programme chinois « Made in China 2025 ». L'Amérique dressera des obstacles à ces investissements chinois. Martin Feldstein, économiste réputé et professeur à Harvard, s'en prend au vol de nouvelles technologies par les Chinois, affirmant que même s’il est opposé sur le principe aux droits de douane, il faut absolument trouver un moyen d'y mettre fin.
Le nouveau lot de mesures contre la Chine, que Donald Trump prépare avec ses services compétents, constitue une intensification nette de la guerre froide[27]. Déjà, cette guerre s’enrichit de mesures autres que les mesures traditionnelles, qui devraient avoir des conséquences parallèles et donner lieu à des représailles d'une ampleur imprévisible. Des mesures sont entre autres en discussion pour interdire la libre entrée aux États-Unis des Chinois s'ils appartiennent à des catégories susceptibles d'en faire des suspects de vol de propriété intellectuelle, pour interdire la participation de Chinois à des projets sensibles de recherche et pour rendre difficile l'inscription d'étudiants Chinois, qui s'élève aujourd'hui à plus de 300 000 par an, dans les universités américaines. Ces mesures, bien plus que les droits de douane, sont révélatrices de l’objectif visé : « l’Amérique d’abord » dans le secteur le plus décisif de l’économie du 21e siècle, celui des nouvelles technologies, et empêcher la Chine de la dépasser. C’est pourquoi cet objectif sera au centre de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, et cet objectif, dans la mesure où il est possible de le prévoir, donnera le coup de grâce à la mondialisation, entraînant le monde dans une guerre dont la durée est imprévisible et les conséquences multiples. Cette guerre, dans un premier temps, sera pour commencer strictement commerciale. Toutefois, si ces mesures finissent par donner à la Chine l’impression que tous ses citoyens sont soupçonnés d’être des espions et indésirables aux États-Unis, le risque de guerre entre les deux superpuissances ne peut être exclu.
Il convient de rappeler que dans de nombreux cas le président Donald Trump, bien que non conventionnel, a toutefois raison. En tout état de cause, ces intentions du gouvernement des États-Unis sont justifiées par :
• Des données statistiques du département américain de la Défense, qui révèlent qu'en 2014, au moins un quart des efforts déployés par les pays étrangers pour extraire des informations sensibles ont été tentés par des instituts universitaires.
• La déclaration de Michelle Van Cleave, ancien membre de l'Exécutif national américain, lors d'une conférence en 2014, selon laquelle « la liberté et l'accès sans entrave aux États-Unis font de ce pays un paradis d'espions ».
 
B. Dans le domaine monétaire
Les menaces de la Chine contre les États-Unis, centrées sur la guerre commerciale qui les oppose et ses multiples formes, sont insignifiantes comparées au risque encouru par le dollar américain face au yuan chinois (rénmínbi), et qui se dessine déjà clairement à l'horizon. Ce danger menace la prédominance internationale de la devise américaine et devrait forcer l’Occident, à ce qu’il semble dans un très proche avenir, à remettre les clés de cette longue domination monétaire mondiale à la Chine. À la Chine, qui n'est pas seule sur la scène internationale, mais est fortement soutenue par la Russie et encadrée par les BRICS[28]. Ces pays, avec donc à leur tête la Chine, avancent à pas soigneusement réfléchis vers un système monétaire alternatif centré sur le yuan chinois, qu'il sera possible, du moins au début, de changer contre de l’or[29] et qui est destiné à remplacer progressivement le dollar américain en tant que monnaie de réserve internationale[30]. Un pays, pour s'assurer la souveraineté économique mondiale, a avant tout besoin d'une monnaie qui non seulement soit acceptée sans problème dans le commerce international, mais qui soit également demandée comme réserve. Ce rôle était presque exclusivement tenu par les États-Unis de la fin de la Seconde Guerre mondiale à aujourd'hui avec le dollar. Environ les deux tiers des réserves des banques centrales sont en dollars. Plus de la moitié de la dette mondiale est en dollars. La situation évolue toutefois dangereusement au détriment de l’empire monétaire américain. Or, les États-Unis ne semblent pas avoir pris conscience de l'ampleur et de l'imminence du danger pour le dollar et ne cherchent pas à se protéger, et au contraire, par leur comportement et leur décision d'imposer des sanctions financières à la Russie, à l'Iran et au Venezuela qui se trouvent être d'importants pays producteurs de pétrole, ils accélèrent la fin de leur souveraineté sur le commerce international, étant donné que ces pays essaient ainsi d'éviter les sanctions. 
Pour que le yuan s'impose en tant que monnaie internationale, la Chine, avec le ferme soutien de la Russie, a lancé un plan génial prévoyant un retour partiel à la règle d'or. Ce nouveau système monétaire international alternatif a déjà été en partie mis en place avec l’introduction de contrats à long terme pour le pétrole brut sur le marché international, qui seront tarifés en yuans convertibles en or. Le plan prévoit que dans un avenir proche la Chine, qui est le plus grand importateur de pétrole au monde, cessera de payer en dollars, et l'acquerra en yuans. Étant donné que la monnaie chinoise dans ce cas sera convertible en or, il n'y aura en principe aucune raison qu'elle soit refusée par les pays producteurs de pétrole. Et ensuite, lorsque la Chine aura montré son économie bien fondée et son hégémonie incontestables au monde, la conversion du yuan en or ne sera plus utile. Entretemps, la Chine renforce son programme de dé-dollarisation avec le soutien d’alliés et de pays émergents. Cet effort de dédollarisation a bien sûr une présence particulièrement forte en Russie. La Russie est la principale priorité de la Chine, car elle est le plus grand producteur de pétrole au monde et constitue déjà la source la plus importante de pétrole pour la Chine. Toutefois, il est également prévu d'étendre ensuite ce système de paiement aux paiements effectués dans d'autres pays participant à la « route de la soie ». Les intentions du président Russe de mettre fin, comme il le soutient, au système monopolistique injuste du dollar ont été clairement révélées lors du sommet des BRICS à Xiamen, en Chine, le 4 septembre 2017. La Chine cherche également à conclure un accord bilatéral avec l'Iran pour utiliser le rial et le yuan[31]. Pékin et Téhéran cherchent des moyens d’éviter le dollar comme moyen de paiement de leurs transactions. L'Iran, de son côté, cherche également d'autres pays avec lesquels conclure des accords d'échange qui n'utilisent pas le dollar. Et puis, la possibilité notamment de créer une monnaie unique, éventuellement basée sur l'expérience de l'euro, est à l'étude. Et, déjà, le grand plan de substitution en dollars est mis en œuvre avec la décision du gouvernement russe d'émettre, à titre d'essai et donc d'une étendue limitée, des obligations d'État d'un milliard de dollars, non pas en dollars mais en monnaie chinoise, correspondant à six milliards de yuans[32].
Il semble donc que la passation du premier rôle sur la scène économique mondiale après la souveraineté des États-Unis, qui domine le monde depuis environ 70 ans, soit imminente. Elle semble aussi déterminée. La domination économique mondiale d’un pays, aussi puissant soit-il à un moment historique donné, a toujours une date limite. Tout comme ont été obligés de le faire dans le passé, les acteurs principaux, d'une durée de vie limitée, tels que le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, la France et enfin la Grande-Bretagne, qui se sont succédés au sommet du monde. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale et jusqu'à aujourd'hui, le rôle de la souveraineté mondiale a été tenu par l’Amérique qui avait pris la place de la Grande-Bretagne.
L'A4489\mérique, pour le moment, ne réagit pas, du moins pas directement, à cette menace fatale pour sa souveraineté mondiale. Or, si elle tente d'y échapper, elle risque de provoquer un conflit armé.
 
C. Dans le domaine théorique, cosmothéorique et comportemental
Tout montre qu’en 2030, l’Amérique ne sera plus la première économie mondiale. Toutefois, cette évolution ne doit en aucun cas être perçue comme une catastrophe. Je cite la déclaration du célèbre journaliste Mike Krieger, dont la position correspond à celle qui domine en matière de succession, de cultures, de régimes et de cosmothéories[33] : « Ce n’est pas sain ou durable pour une nation de dominer la planète d’une telle manière. Beaucoup d’entre nous aiment penser qu’un empire mondial bienveillant dirigé par des rois philosophes est une bonne chose, mais le problème est que c’est un fantasme total. Ce qui se passe dans la vraie vie, pour citer Lord Acton, c’est que « le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument »[34]. C'est exactement ce qui s'est passé aux États-Unis.
En ce qui concerne la philosophie de la guerre entre les États-Unis et la Chine, il existe des différences substantielles qui confortent généralement l’opinion selon laquelle c'est l’Amérique qui, le cas échéant, est susceptible de prendre la décision de déclencher un conflit.
En effet, l'Amérique, cherchant à satisfaire son « syndrome impérial[35] », n'a eu de cesse de s'engager par le passé dans des guerres, alléguant différentes raisons afin d'en couvrir les véritables causes. De nombreux spécialistes de la guerre[36] se chargent, de temps à autre, de fabriquer ces allégations et bien qu'elles diffèrent toutes l'une de l'autre, elles reposent néanmoins sur l'hypothèse générale que dans le monde, le seul système de gouvernance qui respecte les droits de l'homme est celui de la démocratie libérale. Alors que l'Amérique est convaincue de l'universalité et de l'immortalité des valeurs démocratiques et des droits de l'homme, elle a, en tant que puissance la plus grande au monde, non seulement le droit, mais également le devoir de les imposer et de les répandre sur la Terre entière. Le prosélytisme de l'Amérique qui est convaincue de sa nécessité peut aller jusqu'à la guerre, si cela n'est pas possible autrement, comme cela s'est avéré officiellement pour les guerres contre l'Afghanistan et l'Irak, ou jusqu'au néo-colonialisme ou tout autre moyen jugé préférable. En revanche, la Chine, ne cherche pas à faire de prosélytisme auprès des peuples qui ne partagent pas ses principes, mais elle cherche à les attirer pacifiquement, par son exemple tout en affirmant qu'avec le temps, cela finira pas se faire. Bien entendu, l'essor, des deux côtés, d'un nationalisme extrême ne permet pas d'exclure un conflit. Et, d'une manière générale au-delà des détails, il est possible que le nationalisme excessif observé au sein de ces deux grandes puissances encourage le déclenchement d'une guerre.
Bien que l'Amérique et la Chine semblent convaincues que leurs principaux choix politiques sont les meilleurs possibles, leur position est très différente à l'égard du monde extérieur.
 
D. Par le recours à l'arme nucléaire
En invoquant la nécessité de protéger la Démocratie menacée principalement par Poutine, selon les arguments de l'Occident, la Maison Blanche a commandé une étude au Pentagone[37] qui, contrairement aux positions officielles, soutient une utilisation accrue à l'avenir de l'arme nucléaire. Plus spécifiquement, en 2016, Donald Trump alors candidat à la présidentielle, posait à son conseiller la question suivante : « À quoi servent les armes nucléaires si on ne peut pas s'en servir ? »[38]. Et le Pentagone avait répondu : « Face aux aspirations géopolitiques de la Russie (et de la Chine), à la volonté de la Russie de changer par la force la carte de l'Europe et de remettre en cause l'ordre international issu de la fin de la guerre froide, les États-Unis doivent se charger sans délai de moderniser leurs armes nucléaires »[39]. Cette asymétrie flagrante dans l'amplitude de mouvement dans ce domaine, aux États-Unis et dans le reste du monde, est bien sûr justifiée par le sombre abandon de l'hypothèse que « l'utilisation d'armes dangereuses par l'Amérique offre une garantie au monde, alors que leur utilisation par d'autres pays est dangereuse et doit donc être empêchée ». Que cette hypothèse soit réaliste ou non, l'énergie nucléaire a malheureusement la capacité de détruire tôt ou tard la planète. Car on ne peut concevoir que le monde entier reconnaisse et accepte que chaque président Américain dispose du monopole de ces armes destructrices, armes avec lesquelles il lui est facile de neutraliser ses ennemis, ces mêmes ennemis auxquels il refuse le droit de se défendre à armes égales.
De toute évidence, le cauchemar qui doit à tout prix être évité, c'est une troisième guerre mondiale entre les États-Unis et la Chine, avec la participation probable de la Russie. Ce serait une guerre où il n’est pas certain que l'arme nucléaire criminelle ne serait pas utilisée, si les Chinois pensaient que cela servirait les intérêts de leur pays. Le conflit serait basé sur le fait que les intérêts de ces deux grandes puissances ne coïncident pas mais qu'ils sont opposés car la Chine cherche à s'emparer de la primauté internationale des États-Unis. S'il y a conflit, il vérifiera le « piège de Thucydide ». L’Occident ne doit en aucun cas tenir pour acquis que la Chine a encore besoin de dix ans, voire plus, pour être militairement prête à affronter l’Amérique. Et ceci, car déjà, des dizaines de pays l'ont rejointe sur la « route de la soie ». En outre, le président Xi Jinping a commencé à moderniser sa machine de guerre[40]. En mer notamment, la Chine peut déjà être considérée comme une puissance navale importante avec un certain nombre de navires de guerre ultramodernes en concurrence avec ceux des États-Unis. La Chine est sur le pied de guerre, elle s'est préparée en très peu de temps, et il est normal que les États-Unis s'en inquiètent.
 
Conclusion
Pour terminer cet article, qui tourne autour des perspectives et de l’anxiété concernant l’avenir de l’humanité, on peut tirer une conclusion optimiste de l’analyse. « L'Amérique d'abord » de Donald Trump ouvre la voie à la souveraineté de la Chine, dont la succession se fera peut-être sans effusion de sang si l'Amérique cessait de se soucier du sort de l'Occident et si elle décidait effectivement que ses intérêts seraient mieux servis à l'échelle nationale que mondiale. Et la voie ouverte à la souveraineté de la Chine est également complétée par la réticence et l'incapacité manifestes de l'Allemagne à combler le vide laissé par la perte d'influence internationale des États-Unis.
Voilà pour le court et le moyen terme. D'ici à dix ans, l'idée de la guerre et la manière de s'y préparer n’auront plus rien à voir avec celles d'aujourd'hui. Dans dix ans, les robots, qui seront alors très probablement autonomes, se chargeront des guerres et les mèneront à bien. Des guerres très différentes de ce que nous connaissons, plus destructrices, mais aussi beaucoup plus brèves. Et d'ici quelques années, comme on le voit déjà, la Chine sera indubitablement en avance sur la robotique américaine. Si le « piège de Thucydide » n’est pas envisagé pacifiquement jusqu’alors, l'évolution des choses en Occident risque de prendre une tournure tragique.
Malheureusement, cette problématique, ainsi que les efforts opportuns pour la traiter, ne préoccupent pas, du moins à ma connaissance, les plus puissants du monde qui, en revanche, s'inquiètent plutôt de questions beaucoup moins importantes et de moindre envergure, à savoir la pérennité des principes de la civilisation occidentale, dans des pays qui n’ont absolument rien à voir avec elle.
 
* Idées développées plus largement à plusieurs endroits du livre de l'auteur, La fin de la domination économique occidentale, éditions Delivanis Foundation et Janus Publications (sous presse), et à paraître en français aux éditions L'Harmattan.
 
Références bibliographiques
1. Dont l'analyse théorique est toujours considérée d'actualité, car, comme il l'affirme, « L'Histoire est un perpétuel recommencement », puisque la nature de l'Homme ne change pas.
2. Wikipedia.gr
3. Graham Allison (2017), "China vs. America", Foreign Affairs, sept./oct., et Konstantinos Arvanitopoulos (2017) "Η παγίδα του Θουκυδίδη" [Le piège de Thucidyde, en grec] Antilogos, 04/07.
4. Cités par l'OCDE.
5. HSBC.
6. Roger Cohen (2017), "China has Trump where it wants him", International New York Times, 13/11.
7. Europe : « Les courants populistes ont cessé d'être des exceptions pour devenir la règle », Le Monde, 22.03.2018.
8. "Barbarian Outreach" (2017), The Economist, 11/11.
9. Il convient de noter que l'étiquette « populisme » couvre de nombreuses formes de gouvernance très différentes les unes des autres, mais qui défendent les mêmes principes de base, tels que l'opposition à la mondialisation, à l'élitisme et le nationalisme. 
10. C'est lui-même qui l'a dit en septembre 2017 et l'a répété 21 fois au cours d'un discours.
11. Christopher A. Preble (2018), "Adapting as America declines", International New York Times, 23/04.
12. The future of the war (2018), Special Report, The Economist, 03/01.
13. Kori Schake (2017) "Will Washington Abandon the Order" ? Foreign Affairs, janvier/février.
14. John McCain et Angelina Jolie (2018) "Rohingya need rescue led by U.S.", International New York Times, 11-12/03.  
15. Maria Negreponti-Delivanis, Τα παιδιά της παγκοσμιοποίησης [Les enfants de la mondialisation], op. cit.
16. Bloomberg.
17. Jim Tankersley (2018), "Trump hates the trade deficit. Economists differ", International New York Times, 07/03.
18Thomas L. Friedman (2018), "Some truths Trump holds actually exists", International New York Times,15/03.
19Marco Rubio (2018), "Tariffs aren't the solution", International New York Times, 15/03.
20Thomas I. Friedman, op. cit.
21. François Lenglet (2014), La fin de la mondialisation, Librairie Arthème Fayard/Pluriel, Chap. 5, L’éternel retour.
22Ana Swanson et Alan Rappeport (2018), "Trump looks to curb Chinese investment", International New York Times, 30/03.
23Luke Patey (2017), "China is pushing its luck with the West", International New York Times, 28/12.
24. Entre la Chine et les États-Unis, de nouvelles taxes douanières et des menaces", Le Monde, 23.08.2018 à 08h07.
25 Commission d'examen des relations économiques et sécuritaires entre les États-Unis et la Chine.
26. Loi sur le pouvoir économique international d'urgence.
27Ana Swanson et Keith Bradsher (2018), "U.S. weighs curbs on Chinese researchers", International New York Times,02/04.
28.  Outre la Russie et le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud, ainsi que les pays partenaires de l'Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), notamment le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et récemment le Pakistan.
29William Engdahl (2017), "Russia and China challenge dollar domination", New Eastern Outlook, 20/12.
30. "Το δολάριο κινδυνεύει" [Le dollar est en danger], www.iefimerida.gr
31. Zero Hedge (2017), « La dé-dollarisation se poursuit: la Chine et l'Iran éliminent le billet vert du commerce bilatéral », 11/12.
32William Engdahl, (2018), "Washington new defense strategy: keep Russia, China Down", New Eastern Outlook, 24/01
33La fin de la domination économique occidentale, à paraître en français aux éditions L'Harmattan (V. surtout l'avant-propos et l'introduction).
34Mike Krieger, « La route vers 2025 [1/4]: préparez-vous à un monde multipolaire », Le Saker francophone, source Liberty Blitzkrieg blog, 17/4/18.
35. Maria Negreponti-Delivanis (2004), Τα παιδιά της παγκοσμιοποίησης: τρομοκρατία και φασισμός [Les enfants de la mondialisation: terrorisme et fascisme]éd. Fondation Delivanis et Papazissis, p. 368 et suiv.
36. MBout (2001), "The case for the American Empire", Weekly Standard15.10, Robert D. Kaplan (2000), The coming anarchy, New York, Random House, SRozen (2002), "The future of the war and the american military", Harvard Review, mai/juin, etc.
37Ashley Feinberg (2018), " Exclusive: here is a draft of Trump's nuclear review. He wants a lot more nukes", 11/01, www.huffingtopost.com.
38. ΜSNBC, 3/8/2016.
39. Serge Halimi (2018), « "Idiots utiles" du Pentagone », Le Monde Diplomatique, No767-65e année, février/avril.
40Jennifer Lind (2017), "Asia's Other Revisionist Power, Foreign Affairs, mars/avril.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
 







AMÉRIQUE ET CHINE: COEXISTENCE ET TOLÉRANCE OU LE SYNDRÔME DE THUCYDIDE?* Communication de Maria Negreponti-Delivanis au Colloque de Mostar | octobre 2018 AMÉRIQUE ET CHINE: COEXISTENCE ET TOLÉRANCE OU LE SYNDRÔME DE THUCYDIDE?*        Communication de Maria Negreponti-Delivanis au Colloque de Mostar | octobre 2018 Reviewed by Μαρία Νεγρεπόντη - Δελιβάνη on Δεκεμβρίου 11, 2018 Rating: 5

Δεν υπάρχουν σχόλια