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TITRE: LES INEGALITÉS EXAGÉRÉES DE LA RÉPARTITION DES REVENUS MENACENT LA CROISSANCE, MAIS AUSSI LE CAPITALISME ET LA DÉMOCRATIΕ
TITRE: LES INEGALITÉS EXAGÉRÉES DE LA RÉPARTITION DES REVENUS MENACENT LA CROISSANCE, MAIS AUSSI LE CAPITALISME ET LA DÉMOCRATIΕ
par Maria Negreponti-Delivanis
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Résumé:
La conséquence la plus néfaste de la mondialisation, considérée comme le stade le plus avancé du capitalisme, est l'explosion des inégalités de répartition, à tous les niveaux, avec des gouvernements incapables (ou refusant jusqu' à présent) de les combattre. Le capitalisme est le système qui crée des inégalités parce que trop peu de gens sont capables de tirer profit des opportunités qui sont théoriquement offertes à tous ; mais aussi, cela va sans dire, parce que l'État, obéissant aux consignes de la vision extrême néolibérale, s'abstient d'assister les moins compétitifs.
Pourtant, récemment, une prise de conscience des dangers liés aux politiques en faveur des riches a mené à des propositions de mesures jusqu'à présent inouïes. Provenant de mouvances différentes favorables à l’idée de « faire payer les riches », d'une progressivité des impôts, d'une imposition plus lourde des héritiers et même d'un plafond au patrimoine. Ces tendances vont dans le même sens que les mesures keynésiennes dont le but était de sauvegarder le capitalisme de ses excès.
Pourtant, récemment, une prise de conscience des dangers liés aux politiques en faveur des riches a mené à des propositions de mesures jusqu'à présent inouïes. Provenant de mouvances différentes favorables à l’idée de « faire payer les riches », d'une progressivité des impôts, d'une imposition plus lourde des héritiers et même d'un plafond au patrimoine. Ces tendances vont dans le même sens que les mesures keynésiennes dont le but était de sauvegarder le capitalisme de ses excès.
Mots-Clefs: répartition, inégalités, capitalisme, démocratie, néolibéralisme, croissance, populisme, héritage, État-providence
TITRE: LES INÉGALITÉS EXCESSIVES DANS LA RÉPARTITION DES REVENUS MENACENT LA CROISSANCE, MAIS AUSSI LE CAPITALISME ET LA DÉMOCRATIE
Dans le contexte néolibéral et capitaliste, les inégalités en matière de répartition des revenus et des richesses n’ont que récemment été abordées comme un problème qui devait absolument être résolu. En effet, ces inégalités étaient interprétées comme les conséquences naturelles du bon fonctionnement du capitalisme, récompensant les plus puissants et enfonçant les plus faibles. D’autre part, du point de vue de la croissance économique et du développement, les inégalités ont longtemps été jugées souhaitables et nécessaires à la formation de l’épargne et des investissements. De plus, les néolibéraux soutiennent que ce qui compte, ce n’est pas comment le revenu est réparti, mais l’augmentation de la production du PIB, qui profite à tous, selon eux. De ce point de vue, même cet État social, qui vise notamment à limiter les inégalités, a été traité avec hostilité et en tout cas comme une anomalie du système, par les ultra néolibéraux. Parce que, selon eux, ce qui importe c’est de renforcer les plus compétitifs et non les moins compétitifs. Et puis, les aides sociales accordées par l'État réduisent, comme le disent les partisans du libéralisme, la propension au travail, faisant ainsi baisser la productivité au-dessous de son niveau potentiel.
Le capitalisme boursier ainsi que la mondialisation auquel elle est associée ont mené à toutes sortes d'inégalités et ce, à des niveaux jamais atteints. Cet environnement économique, nouveau et sans précédent, a créé une incertitude générale dans la mesure où il a considérablement réduit le nombre de personnes compétitives et capables de saisir les opportunités offertes par le stade de développement post-industriel mature que nous connaissons actuellement. Par contre, beaucoup sont marginalisés et de plus en plus menacés par le chômage généré par les nouvelles technologies. En effet, ces changements ont récemment conduit à la révision de nombreuses vues néolibérales parmi les plus fondamentales et extrêmes et ont suscité de sérieuses interrogations, à savoir dans quelle mesure les inégalités boostent la croissance ou − notamment lorsqu’elles dépassent un point critique − dans quelle mesure elles constituent au contraire un frein. En outre, de nombreuses indications sont alarmantes même pour l’avenir de la démocratie libérale, laquelle recule rapidement dans le monde entier, laissant la place à une démocratie illibérale, principalement en raison des difficultés de coexistence avec les inégalités extrêmes qui prévalent. Les « gilets jaunes », justement, expriment un profond sentiment d'injustice sociale.
Dans la Partie I de cet article, je rapporterai certaines formes extrêmes d'inégalité ainsi que les dangers de la déstabilisation du système capitaliste qui le menacent. Et dans la Partie II, seront formulées certaines propositions novatrices qui tendent à se consolider, bien qu’actuellement elles ne soient pas appliquées, et qui visent précisément à éliminer ces risques. Jusque récemment, ces propositions étaient considérées comme peu orthodoxes dans l'environnement néolibéral.
Partie I
Les inégalités incontrôlées dans la répartition et les menaces qui en découlent
La conséquence la plus néfaste et la plus dangereuse de la mondialisation, considérée comme l'étape la plus avancée du capitalisme et imposée comme la nouvelle cosmothéorie économique dans les années 1970, est l’explosion de l'inégalité dans la distribution à tous les niveaux, avec des gouvernements incapables d'y faire face (ou ne le voulant pas). Ni l'État social ni l'adoption de mesures de politique économique n'ont réussi à limiter l'accroissement incontrôlé des inégalités dans le stade post-industriel du capitalisme.
1. Les inégalités
1a. Répartition personnelle
La répartition personnelle du revenu, qui se mesure par l'indice de Gini (1), a intégré des évolutions en cascade dès l'installation de la mondialisation et du néolibéralisme. Plus spécifiquement, pour l'ensemble de la population mondiale, l'indice de Gini est de 0,70, c'est-à-dire qu'il indique une hausse sans précédent des inégalités, jamais atteinte par aucun pays dans le passé. En réponse à ceux qui, aujourd'hui encore, soutiennent que « les inégalités ont toujours existé », la montée faramineuse de celles-ci depuis l'installation de la mondialisation et du néolibéralisme effréné est la preuve de l'aggravation démentielle de la situation. En effet, 1 % des Américains les plus riches gagnait autour de 10 % du PIB de leur pays en 1915, et en 2007, ce taux avait grimpé à 24 %. Concernant la répartition de la richesse, l'évolution des inégalités est encore plus implacable, puisque dans le même intervalle (1915-2007), la part de la richesse des ménages les plus riches, à savoir 0,1 % de la population, est passée de 9 % à 22 %. Par ailleurs, une récente étude (Emmanuel Saez, Gabriel Zucman, révèle qu'aux États-Unis, en 1980, 1 % des citoyens adultes disposaient d'un revenu 27 fois supérieur en moyenne à celui de 50 % des adultes américains les plus pauvres. Cette différence est maintenant de 81 fois. Et puis, continuons avec les formes inimaginables d'inégalités qui hantent les économies avancées, à savoir les 16 000 familles qui appartiennent au 0,01 % de la population américaine et dont les richesses ont doublé depuis 2012. La Chine ne fait pas figure d'exception puisqu'elle s'est développée en aggravant les inégalités qui sont déjà proches de celles des États-Unis : 1,5 % des Chinois les plus riches disposent de 40 % du PIB, alors qu'aux États-Unis l'équivalent dispose de 50 % du PIB. Et à l'inverse, 50 % des Chinois les plus pauvres doivent se contenter de 15 % du PIB, et leur équivalent américain de plus ou moins 12 % (Alternatives Économiques, 2017).
1b. Répartition fonctionnelle
Les parts du travail et du capital dans le revenu national, telles qu'elles sont mesurées dans la fonction de Cobb-Douglas, restèrent inchangées jusqu'aux années 1980, autrement dit, jusqu'à l'installation de la mondialisation et aux évolutions qui l'ont accompagnée. L’OCDE publia en 2010 un calcul qui cumule les résultats macroéconomiques de quinze de ses États membres. Il en ressort que de 1976 à 2006, la part des salaires dans le PIB, y compris les salaires indirects, représentait 67,3 % jusqu'en 1980, c'est-à-dire jusqu'à l'arrivée de la mondialisation, et en 2006, elle enregistrait une baisse de 10 % pour n'être plus que de 57,3 % du PIB (2). Et puis, selon les estimations du FMI du mars 2008, la part des salaires dans les pays membres du G-7 a baissé de 5,8 %. Notons encore que le stade post-industriel a considérablement réduit les besoins en travail non qualifié, entraînant en même temps une baisse de la rémunération. Nous devons également tenir compte du fait que les nouvelles technologies du stade post-industriel ont rendu vraiment plus difficile le calcul de la productivité du travail et du capital dans un processus de production donné, ce qui a eu pour effet de faciliter l'exploitation du facteur « travail » par le facteur de production traditionnellement « puissant », à savoir le capital, surtout parce que l'interventionnisme de l'État a été désactivé. Le résultat est l'augmentation du volume d'emplois à temps partiel et généralement précaires.
1c. Des écarts démesurés et de plus en plus grands entre les salaires des CEO et le salaire moyen dans une même entreprise
La productivité est difficilement envisagée dorénavant comme une mesure de détermination des parts du travail et du capital à cause des écarts abyssaux mais inexplicables entre les salaires. En effet, en 1989, le salaire le plus élevé des patrons de grandes entreprises était 45 fois (The Economist,1999) supérieur au salaire moyen des travailleurs dans la même entreprise, et en 1999 l 'écart était de 475 fois (Bianco, Lavelle 2000). Or, cet écart déjà énorme en 1999, non seulement ne s'est pas réduit au fil du temps, mais il ne cesse de s'amplifier. À titre d'exemple, le fabricant de jouets Mattel, en Asie, utilise des centaines d'ouvriers pour un salaire très bas. Dans cette entreprise, le salaire du CEO est 4 987 fois (Gelles) plus élevé que le salaire moyen. Un autre moyen de mesurer l'inégalité des rémunérations entre le CEO d'une grande entreprise et le travailleur, est de calculer le nombre d'années de travail que le travailleur moyen devrait effectuer pour gagner le salaire du CEO. Chez Live Nation Entertainment, le nombre d'années serait de 2 893 et chez Time Warner, il serait de 651(Gelles). Comme si le CEO des grandes entreprises gagnait chaque année le gros lot au loto. Mais ces écarts invraisemblables, ou plus exactement, ce niveau de rémunération incompréhensible, sont expliqués par les capacités exceptionnelles des CEO, lorsqu'ils en sont dotés. Les CEO, en d'autres termes, cherchent par tous les moyens (même illégaux, à condition que cela n'apparaisse pas au grand jour), parvenant souvent à l’augmenter, la valeur de leur action, même si la situation réelle de l'entreprise ne le justifie pas. Ainsi, les actionnaires sont-ils satisfaits et ne voient aucun problème à rémunérer le CEO en conséquence, pour services « spéciaux » rendus. Tout argument soutenant que l'ampleur de ces écarts reflète ceux de la productivité du travail ne tient pas.
1d. Des inégalités persistantes dans la répartition des salaires - Une situation qui empire à chaque génération
Un autre angle (parmi tant d’autres) permettant d'examiner les problèmes de répartition des revenus et des richesses, est l'évolution dont il sera question dans cette section et qui, à première vue, semble inexplicable. Il s'agit de la dimension entre le PIB qui, ne serait-ce que faiblement, s'améliore d'année en année, et le mécontentement grandissant surtout de la classe moyenne, qui constate que son niveau de vie stagne dans la durée ou même se dégrade. Et c'est manifestement cela qui a porté Donald Trump au pouvoir, lui qui a justement promis que ceux qui avaient été exclus du progrès -essentiellement la classe moyenne- y seraient réintégrés pendant son mandat. Une étude menée aux Etats-Unis (Guvenen, Greg Kaplan et autres 2017) révèle de nombreux aspects inacceptables du problème de la répartition des revenus (3), qui justifient parfaitement le mécontentement de cette part importante de la population. En voici quelques-unes des conclusions :
• En 1973, le revenu d'un travailleur à plein temps (ajusté à l'inflation) s'élevait à 54 030 dollars par an, et en 2016 il était d'à peine 51 640 dollars.
• En 1967 le salaire moyen (ajusté à l'inflation) d'un homme âgé de 25 ans était de 33 300 dollars par an, et en 2011 de seulement 25 000 dollars.
• Dans les années 2000-2017, le niveau des salaires aux États-Unis était inférieur de 10 % par rapport à celui des cinquante années précédentes (The Economist, 2018).
• Les choses ont commencé à se détériorer avec les jeunes de 25 ans, qui touchaient un salaire de plus en plus bas par rapport à la tranche d'âge supérieure à la leur, de sorte que pendant toute leur vie professionnelle, ils gagnaient moins que leurs prédécesseurs, et par conséquent avaient un niveau de vie plus bas.
• En fin de compte, il s'avère que depuis 1970, les 3/4 des travailleurs aux États-Unis n'ont pas vu leur niveau de vie s'améliorer. 4 travailleurs sur 5 n'ont pas connu de véritable progrès. Les fruits du progrès allaient directement aux 1 % de la population les plus riches des États-Unis.
• 117 millions d'Américains adultes au seuil de revenu le plus bas (50 %) ont été complètement exclus du progrès, leur revenu étant gelé depuis 1970.
1e. Le fossé entre le nord et le sud
Le fossé entre le nord et le sud a cessé de se resserrer ces dernières années (World of Work), surtout concernant les indicateurs de base de la mortalité infantile, de l'espérance de vie et de l'analphabétisme (PNUD). Quant au fossé entre l'habitant moyen des pays pauvres et des pays riches, il s'élargit : en 1990, un Américain moyen était 38 fois plus fortuné qu'un Tanzanien moyen, mais en 2007, l 'écart était de 61 fois (PNUD). Le problème de l'approfondissement des écarts, notamment entre le nord et le sud de l'Europe, est devenu incontrôlable et dangereux pour l'avenir de l'UE, impactée à la fois par son avilissement et par la mondialisation (PNUD).
Concernant les inégalités grandissantes entre le nord et le sud de l'Europe (Negreponti-Delivanis, 2012), les politiques mercantilistes atypiques utilisées par l'Allemagne pour cumuler croissance et puissance économique se tournent contre les autres, surtout les plus faibles, et remettent au goût du jour des situations qu'Halford Mackinder avait analysées il y a un siècle (Bellos). Selon les analyses du fondateur de la géopolitique, l'Allemagne applique dans ses relations avec les autres États les principes du commerce international et de la mondialisation, alors qu'à l'intérieur de ses frontières, elle impose le protectionnisme et l'autosuffisance. Le point clé des projets du Parti national-socialiste des travailleurs allemands est la conquête de l'espace vital par les Allemands, c'est-à-dire un espace assez grand et riche en ressources naturelles pour que les Allemands puissent vivre en autarcie économique à un niveau non inférieur à celui des autres nations (4).
Le modèle de croissance allemand est généralement reconnu comme parfaitement réussi, et nombreux sont ceux qui recommandent au reste du monde de l'imiter. Or, derrière la flamboyance de l'économie allemande se cache une pauvreté croissante et des disparités abyssales. Il y a 22 ans, la banque alimentaire Tafel ouvrait ses portes dans un quartier de la ville de Bremerhaven, reconnue aujourd'hui comme faisant partie du district le plus pauvre d'Allemagne, et servait des repas aux plus démunis, qui sont déjà plus de 1,5 million. Or, à l'origine, la banque offrait 300 repas. À l'arrivée au pouvoir de Mme Merkel, elle en offrait 1 500, et aujourd'hui, elle nourrit 10 885 personnes, tandis que 120 familles attendent dans la queue. Les recettes néolibérales mises en œuvre durant les 12 années de pouvoir de Mme Merkel, considérées comme une belle réussite, ont élargi le fossé entre les riches et les pauvres, en raison du maintien des salaires à un niveau bas et de l'exemption d'impôt sur les bénéfices. C'est ainsi que 7,2 % de la population doit sa survie à l'aide de l'État. Par ailleurs, parallèlement à un taux très faible de chômage en Allemagne, 7 millions de travailleurs pauvres n'ont pas droit au système de santé gratuit.
1g. L'évolution des inégalités à l'ère de la robotique (Sachs, Kotlikoff )
Parmi les scénarios malheureux mais plausibles, il en est un qui prévoit l'augmentation de la productivité des robots. Or, ce ne sont pas les travailleurs qui en bénéficieront mais les propriétaires des robots et les auteurs d'innovations. Ceux-ci appartiennent à un groupe très restreint qui gagneront de hauts revenus, contribuant à l'aggravation de la répartition, déjà extrêmement inégale, des revenus et des richesses. De récentes études concluent que les causes de la concentration sans précédent des revenus dans les mains de Crésus qui peuvent s'expliquer dans une large mesure par leurs activités liées aux innovations technologiques (Kearney).
2. Les dangers
L'ampleur inimaginable de ces inégalités de répartition des revenus et de la richesse (telles que ci-dessus à 1) est enfin reconnue comme étant très dangereuse sur l'oviste plan économique et pas seulement social, comme on le pensait jusque récemment. Ces risques, qui existaient déjà dans une certaine mesure, se sont accrus avec l’arrivée et l’instauration de la mondialisation, et ce pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, la mondialisation a violemment séparé le salaire des travailleurs de la productivité, s’efforçant de façon inconsidérée de les ajuster à ceux appliqués dans les économies les moins avancées de la planète. Cette équation a été mise en œuvre au moyen de l’ouverture et du non contrôle des frontières nationales, qui ont obligé les travailleurs des économies avancées à se mettre en concurrence avec le niveau dégradant des salaires des travailleurs des économies en développement. La mondialisation a réduit la capacité de négociation des travailleurs au profit de celle des entreprises qui se sont empressées d’exploiter la situation. La mondialisation a généreusement augmenté la richesse d’un petit nombre au détriment du bien-être de la classe moyenne et des plus pauvres. Par ailleurs, la mondialisation tolère − tout en s’abstenant systématiquement de prendre les mesures adéquates − et encourage même des inégalités inconcevables dans la répartition des revenus et des richesses (Kristensen). La mondialisation a exacerbé la liberté effrénée des échanges sur le marché boursier, ce qui s'est traduit par des inégalités de répartition (Alternatives Économiques, 2016). La mondialisation a affaibli le pouvoir des organisations de travailleurs, que les entreprises se sont approprié. Dani Rodrik (2018) résume très bien l’impact de la mondialisation, en particulier dans ses dernières phases, à savoir l’apparition d’inégalités abyssales, ce que nous sommes en train de vivre: « Elle prend tout simplement de l'argent à un groupe pour le transférer à d'autres ». La mondialisation s'est également montrée indifférente à la généralisation de la spéculation et de la corruption, à la dématérialisation de l'économie, à la suppression du plein-emploi, à la paupérisation absolue des peuples du Tiers-monde (à l’exception de l'amélioration du niveau de vie dans certaines économies en développement). Mais ajoutons encore que les choix de la mondialisation ont affaibli la démocratie au moyen d'un pouvoir atypique, je me permets d’utiliser ici le terme de « bancocratie », qui asphyxie les peuples et marginalise les États pour maximiser ses gains (Chevallier). Il s'agit d'un assemblage difficile à interpréter du point de vue de la théorie économique, mais qui conduit à des déséquilibres criants du type « épargne supérieure à la consommation » et « dépense inférieure à la production » et génère des crises récurrentes.
La reconnaissance des conséquences économiques néfastes de ces inégalités d'une ampleur considérable est en grande partie due à la stagnation économique déjà longue des économies avancées, qui a fait réapparaître la théorie plus ancienne d'Alvin Hansen sur l'avènement de la stagnation séculaire, réactualisée par Lawrence Summers (Negreponti-Delivanis, 2018). Les craintes justifiées d'une résultante positive entre les inégalités de distribution et le ralentissement de la croissance économique ont encouragé des études qui ont non seulement confirmé mais aussi renforcé ces craintes.
2a. Le rapport du FMI
Le FMI (2015) notamment, établit dans un de ses rapports que lorsque les 20 % les plus riches de la population augmentent leur revenu de 1 %, la croissance ralentit de 0,08 % dans les cinq années suivantes, et inversement, une augmentation de 1 % du revenu des 20 % les plus pauvres de la population accélère la croissance de 0,38 % dans les cinq années suivantes.
2b. Le rapport de l'OCDE
Les constats issus d'un rapport récent de l'OCDE (2015) sont similaires à ceux du FMI, puisqu’il affirme que la montée des inégalités durant la période 1990-2010 a eu pour effet le ralentissement du rythme de croissance de ses pays membres de 4,7 %. Ces conclusions sont complétées par des interrogations qui tournent essentiellement autour du fait que les riches peuvent faire pression sur les gouvernements au moment des élections en votant pour l’un ou pour l’autre, afin d'empêcher une éventuelle augmentation des impôts, limitant ainsi la possibilité pour le secteur public de réaliser des investissements dans des travaux d'infrastructure, dans l'éducation et dans l'État-providence (Zandi ). En outre, cette inégalité qui dure depuis longtemps, jamais combattue par aucun gouvernement − au contraire même, elle prend de l'ampleur − provoque un blocage psychologique qui se tourne contre la mobilité sociale, car elle donne l'impression que la situation ne peut en aucun cas s'améliorer (Zandi).
2c. Les inégalités ne favorisent guère les propensions au progrès
Comme il a été montré ci haut, la part des salaires dans les pays membres du G-7 a baissé de 5,8 % durant la période 1983-2006, et plus précisément de 8,8 % dans les pays membres de l'UE (Commission Européenne). Cette baisse, qui est évaluée entre 100 et 200 trillions de dollars, n'a pas profité à la consommation et encore moins à l'investissement (Rocard). Par ailleurs, sur 51 des 73 pays dans le monde sur lesquels ont été établies des statistiques, la part des salaires a reculé avec constance tout au long des 20 dernières années. Comme il ressort d'estimations, entre les années 1999 et 2007, la productivité des travailleurs, au niveau mondial, a augmenté de 30 %, et les salaires réels de seulement 18 % (Artus et Virard). Cette baisse verticale de la part du travail en faveur des profits dans le PIB des économies avancées s'est accompagnée d'une vague de réformes qui eut pour résultat le recul de la protection des travailleurs. Cette baisse ayant eu lieu surtout au sein de l'UE et davantage encore dans les économies endettées du sud de l'Europe, il n'est donc pas excessif de parler d'acharnement contre le travail (Negreponti-Delivanis, 2007). L'absence d'intervention de l'État n'a pas amélioré, en ces temps particulièrement délicats, la situation de l'emploi qui ne cesse d'empirer. Ainsi, on enregistre une perte considérable de la part du travail et, au profit du capital. Cette situation devrait durer encore et même s'aggraver, à cause de l'introduction et de la généralisation d'un stratagème qui présente comme indépendants des travailleurs embauchés pour des emplois précaires et temporaires, lesquels travailleurs sont ainsi privés de toute forme de protection (Alderman). Ce système amoral occupe déjà les tribunaux, surtout en Europe, mais pour l'heure, aucun résultat définitif n'a suivi. L'Europe, sous prétexte que la régulation excessive des marchés freine la compétitivité, n'a pas résisté à la tentation d'installer une anarchie de plus en plus importante sur le marché du travail. Cette évolution défavorable renverse les hypothèses de base sur lesquelles s'appuie la fameuse fonction néoclassique de production et répartition des revenus, la fonction de Cobb-Douglas, qui s'ouvre en trois directions essentielles : la première étant la libre circulation du travail et du capital, la deuxième, le bouleversement apporté dans l'économie par le stade post-industriel de développement et la troisième les nouvelles technologies. À cause de la mondialisation, le niveau du salaire des ouvriers dans les économies avancées est concurrencé par son équivalent des économies en développement et, naturellement, est tiré vers le bas. Il se peut que la prévision bien connue des néoclassiques de l'égalisation des deux niveaux de salaire vers le haut soit théoriquement fondée, mais elle requiert des conditions préalables qui ne sont pas remplies à l'heure actuelle.
Ces inégalités excessives de la répartition des revenus aux dépens de la part des salaires et en faveur des profits crée une abondance d'épargne dans l'économie mondiale qui ne peut plus être absorbée par l'investissement. Ce déséquilibre général fixe la valeur du taux d'intérêt à un niveau très bas et souvent négatif, semblant vérifier la théorie de l'arrivée du stade de stagnation éternelle (5).
Plus précisément États-Unis, où les tendances générales de l'économie ne diffèrent pas de celles de l'Europe, même si les profits des années 2009-2017 étaient, après prélèvement des impôts, supérieurs de 31 % en tant que pourcentage dans le PIB par rapport à ceux des cinquante années précédentes, l'investissement était au contraire, dans la même période, de 4 % inférieur en tant que pourcentage dans le PIB. Les profits les plus élevés proviennent de la hausse du prix des actions et non des investissements productifs (The Economist, 2018).
2d. Comment les milliardaires investissent (The Economist, 2018)
Les millionnaires du monde entier font de moins en moins appel aux banques car elles ont créé leurs propres family offices (bureaux de gestion de patrimoine), employant un personnel nombreux, hautement qualifié et largement rémunéré. L’acquisition de ces family offices nécessite de posséder une fortune de plus de 100 millions de dollars, d’appartenir au 0,001 % de la population mondiale, et leur nombre ne cesse d’augmenter en raison d’une très grande inégalité de revenus. La stratégie de ces family offices n'est pas nouvelle. Cela a commencé avec John D. Rockefeller en 1882, et l’on évalue déjà leur nombre entre 5 000 et 10 000 dispersés en Amérique, en Europe et en Asie. On estime que ces family offices traitent plus de 4 000 milliards d'actifs, ce qui correspond à environ 6 % de la valeur des marchés boursiers mondiaux.
Les dangers liés à la gestion de ces sommes énormes par un petit nombre d’investisseurs sont évidents. Ceux-ci peuvent notamment déstabiliser le système financier, ou, forts de leur puissance, bénéficier d’une information inaccessible à l’investisseur moyen, ils pratiquent la fraude fiscale et, bien sûr, minimisent l'investissement productif, conséquence de l’important recul de la classe moyenne en Europe, à cause de l’explosion des inégalités.
En matière d'investissement, les milliardaires ont une nette préférence pour le marché boursier, renforcent ainsi l'économie virtuelle par rapport à la réelle, et ne contribuent pas à la croissance.
2e. Les inégalités profondes réduisent l'espérance de vie des plus pauvres (Tavernise)
La conséquence peut-être la plus dramatique des inégalités désormais incontrôlées dans la répartition des revenus a été mise en lumière par des économistes de la Brooking Institution qui en ont conclu que « les pauvres ne perdent pas seulement leur revenu et leur qualité de vie, ils perdent aussi des années de vie ». Et la perte d'années de vie chez les pauvres augmente en même temps que le degré d'inégalités. Autrement dit, chez les hommes nés en 1920, entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres, l'écart était de 6 ans. Cet écart double chez les hommes nés en 1950. La durée de vie moyenne des plus riches est de 87,2 ans et de 73,6 chez les plus pauvres. Par conséquent, les inégalités de revenu tuent les plus pauvres.
On vient se demander dans quelle mesure la démocratie peut se satisfaire d'une forme extrême d'inégalité dans la répartition des revenus telle que celle qui s'est installée dans les économies avancées mais aussi dans certaines économies en développement. À cela, on ne peut qu’en déduire que la démocratie n'existe pas, ce dont attestent ces proverbes venant du berceau de la démocratie :
• Une démocratie parfaite est une démocratie qui n'a ni trop de citoyens riches ni trop de citoyens pauvres (Thalès de Milet, 643-548 av. J.-C., philosophe grec).
• Notre démocratie s'autodétruit car le droit à la liberté et à l'égalité a été violé, car elle a appris aux citoyens à considérer l'arrogance comme un droit, l'illégalité comme la liberté, l'impertinence de la parole comme l'égalité et l'anarchie comme le bonheur (Isocrate, 436-338 av. J.-C., orateur athénien).
En outre, il a été avancé que les inégalités de distribution créaient également des inégalités entre les citoyens en matière de droits démocratiques, la démocratie telle que mise en œuvre étant représentative et les citoyens n'ayant aucune confiance dans les partis politiques (Alternatives Économiques, 2019).
Partie II. Propositions novatrices pour combattre les dangers
Les dangers liés à l’explosion des inégalités dans la répartition des revenus et de la richesse ont commencé à augmenter au sein des économies avancées. La forte montée en puissance des populistes et le mouvement des « gilets jaunes » sont une réaction retentissante de nombreuses personnes dont la voix n’était pas entendue à l’époque de la mondialisation. Certains responsables français parmi les autres ont exprimé la conviction que la zone euro risquait de s’effondrer si les inégalités n’étaient pas corrigées (Kauffmann). La recherche de moyens qui permettraient de réduire les inégalités n’est pas nouvelle, elle figure même parmi les préoccupations traditionnelles de la politique keynésienne. Or, les efforts s’affaiblissent dès que la cosmothéorie libérale entre en vigueur. Bien que nombre d’idées de J.R. Keynes coïncident avec celles des socialistes, il convient de noter qu’il ne cherchait pas à faire adopter des mesures socialistes, mais seulement à protéger le capitalisme qui, selon lui, était menacé par ses excès. Ce sont justement les extrêmes dans la répartition des revenus et des richesses(6) qui laissaient jusqu'à présent indifférents les responsables des économies capitalistes − et restaient par conséquent hors de toute discussion − qui sont à la base d'une intense réflexion et de propositions novatrices, et sont maintenant reconnus comme un problème épineux, à la fois social et économique, qui doit être traité. Et puis, contrairement aux périodes précédentes, outre la proposition de mesures visant à contrôler les inégalités dont la nature et l'étendue étaient inconcevables jusqu’à tout récemment, on observe également une sorte de colère à l’encontre des riches. Cette colère, qui a débouché sur des propositions concrètes afin de renverser la situation, peut s’interpréter comme une réaction face à la façon peu correcte d'acquérir souvent une richesse colossale, mais également comme la somme de leurs effets négatifs sur l'économie et la société.
1. Comment les fortunes colossales sont acquises
Dans cette section, il sera question de deux sources d’enrichissement considérable qui, bien que n’étant pas illégales, font l’objet de vives critiques, et pourraient bien ouvrir la voie à des mesures visant à les freiner.
1a. Le retour des héritiers (Alternatives Économiques-dossier, 2019)
Il y a trois façons légitimes de devenir riche, qui sont les suivantes: Premièrement, avoir un travail extrêmement bien rémunéré. Deuxièmement, hériter d'une grande fortune et enfin troisièmement, naître au bon moment, au bon endroit et dans la bonne famille. Parmi ces trois façons légales, c’est la deuxième qui prévaut dans la période que nous traversons actuellement, mais c’est aussi celle qui apparaît, preuves à l’appui, comme le principal facteur de création d’inégalités. En France, le patrimoine total des ménages représentait 4,9 années de revenu net disponible en 1980, et maintenant il représente 8,3 années (Terra Nova). La part des héritages dans le patrimoine total des ménages s'élevait à 44 % en 1970 et à 63 % en 2010, ne laissant aucun doute sur le fait que depuis 1980, une génération nouvelle et puissante d'héritiers est née. Cette augmentation de la richesse des ménages est principalement le résultat de la hausse significative des prix de l'immobilier. L'augmentation du poids spécifique des héritages dans la richesse totale, après 1980, est pour beaucoup la conséquence de la mondialisation, qui a fait baisser les salaires.
L’économiste Thomas Piketty traduit de la façon suivante la hausse de l’importance des héritages depuis 1980 (2013): « Le passé tend à dévorer l'avenir: les richesses venant du passé progressent mécaniquement plus vite, sans travailler, que les richesses produites par le travail ». Ce renversement s’explique par la baisse ou la stagnation des salaires, par une fiscalité favorable aux plus riches et par le fait que les revenus du patrimoine augmentent plus vite que les salaires. L’accroissement de l’importance du mode d’enrichissement par l’héritage ne favorise pas la croissance, car elle limite le nombre de ceux qui ne doivent leur réussite qu’à eux-mêmes. De plus, en raison de l’augmentation de l’espérance de vie, les fortunes sont désormais concentrées entre les mains de personnes âgées de 60 à 80 ans, tandis que l’on hérite entre 40 et 60 ans. L'âge moyen auquel une personne hérite aujourd'hui est de 50 ans, contrairement à la période antérieure à 1980, lorsque les héritiers étaient plus jeunes, âgés d’en moyenne 42 ans.
1b. Autres moyens d'enrichissement (à moitié légaux/à moitié illégaux)
• Paradis fiscaux
Les paradis fiscaux, dont on estime qu'ils dissimulent 32 000 milliards de dollars, ne peuvent plus être vus comme illégaux car dans les faits, ils sont tolérés par l'UE et par le monde entier. Cette tolérance est le résultat de la mondialisation, dont l'idéologie de base favorise la libre circulation des capitaux et la quête du maximum de profit possible. Or, leur existence et leur développement constant partout dans le monde peuvent difficilement être considérés comme légitimes, car on sait qu’ils ont des conséquences nullement morales. Je n'en mentionnerai que quelques-unes. Premièrement, les paradis fiscaux faussent la concurrence, car les entreprises qui y ont des comptes ne paient pas d’impôts, ce qui leur confère des privilèges particuliers par rapport à toutes celles qui y sont soumises et se trouvent ainsi dans une position plus difficile. Deuxièmement, cela crée une situation d'injustice. Troisièmement, ceux qui recourent aux paradis fiscaux restreignent les possibilités de l'État social, qui est indispensable et sert essentiellement les besoins des plus pauvres.
• Trafic illicite d'argent volé
Dans les pages de son livre intitulé Moneyland, l'auteur (Oliver Bullough) raconte les voies illégales qu’empruntent des sommes énormes de pays mal gérés et qui proviennent de l’argent volé aux pauvres. Ce trafic fabuleux bénéficie du soutien d’avocats, de banquiers, de comptables bien connus etc., tandis que des sommes colossales ne sont pas utilisées là où elles sont souvent nécessaires. Par exemple, l'auteur rapporte le vol de médicaments et de matériel médical par le système de santé ukrainien, qui a causé la mort de nombreux patients. Il situe le Moneyland dans un immeuble de première classe, au centre de Londres qui réunissait en son sein pendant un certain temps, et sous le régime du secret absolu, des multimillionnaires qui envoyaient leur argent « invisible » dans les paradis fiscaux, payant pour leur anonymat des sommes considérables. L'auteur affirme que dans cet immeuble londonien du Moneyland, 10 millions d'entreprises ont été enregistrées en 16 ans. Pour conclure, la circulation incontrôlée des capitaux, prônée par les néolibéraux, car selon eux elle sert la liberté et la démocratie, conduit facilement, comme le prouvent maintes situations, à l’impunité pour des individus qui, après avoir détroussé leur patrie et ses habitants pauvres, sont devenus richissimes, dans un autre pays et sous un faux nom.
• Exploitation des employés
Une autre source immorale de richesse, qui devient de plus en plus préoccupante de nos jours, en tant que conséquence négative supplémentaire de la mondialisation et de l'affaiblissement de l'État interventionniste, est l'exploitation multiple des travailleurs. Le recul progressif du plein-emploi et la déréglementation du marché du travail défavorisent le recrutement et l'emploi réguliers de travailleurs. Ces pratiques ne sont pas légales mais sont pourtant tacitement tolérées comme, notamment, l’emploi de personnes à temps partiel pour un salaire extrêmement bas et que les employeurs finissent par sur-employer, sans aucune couverture sociale. Si ces pratiques ne sont pas dénoncées, c’est en raison d’un taux de chômage élevé dans de nombreuses économies.
2. Des propositions sans précédent pour réduire les inégalités
Pour la première fois dans l'histoire économique, l’apparition de tant de personnes richissimes, ayant fait fortune de façon souvent peu avouable, a provoqué une réaction durable à leur encontre, dans la société, dont une large part proteste parce que sa voix n'est pas entendue. Il en résulte une pléthore de propositions visant à limiter les richesses excessives, mais qui n’ont pas encore été mises en œuvre.
Comme on pouvait s'y attendre, il y a bien sûr des voix qui défendent
les plus riches, affirmant que ceux-ci ne récoltent qu'environ
2 % de ce qu'ils génèrent, tandis que les 98 %
restants améliorent le bien-être des consommateurs (Wilkinson).
Pour appuyer leur point de vue, ils mettent en avant l'exemple du Dr Gary Michelson,
chirurgien spécialiste de la colonne vertébrale, milliardaire, et dont la fortune s'élève
à 1,8 milliard de dollars. Cette énorme fortune est le fruit de son travail,
de ses capacités remarquables qui améliorent de manière déterminante
la qualité de vie des habitants de Los Angeles surtout, où il vit lui-même,
lui qui offre une vie normale à ceux qui, autrement, seraient cloués dans fauteuil roulant.
Mais, comme « l’hirondelle ne fait pas le printemps », des voix indignées se font entendre face aux inégalités abyssales, et proposent des mesures concrètes. Ces mesures ne peuvent que consister en différentes formes d’imposition sur les biens ou les successions.
Concernant l’impôt sur les grandes fortunes, certains soutiennent, surtout en France, que les riches concernés risqueraient de quitter le pays. Or, du moins en France, cette peur n'a pas lieu d’être.
2a. Propositions pour un impôt sur la fortune (Cohen, Astor)
Et tandis qu'en Europe, même dans les pays scandinaves,
la notion d'impôt sur la fortune a été abandonnée, essentiellement en raison
de difficultés de mise en œuvre, il convient de souligner que cette réflexion
est en train de renaître aux États-Unis et a été sérieusement abordée lors
du sommet de Davos de cette année. Cette idée est également encouragée
par la baisse constante de la contribution fiscale de la classe moyenne par
rapport à la population totale, ce qui est inévitable avec la répartition
actuelle des revenus qui assure une croissance de 46 % du PIB au 1 %
le plus riche de la population. Alexandra Ocasio-Cortez,
la porte-parole du Parti démocrate, se basant sur le désir de 3 Américains
sur 4 exprimé lors d'un récent référendum, a proposé un impôt annuel sur
la fortune égal à 2 % et qui s’appliquerait aussi bien aux actions, à l'immobilier
qu’aux œuvres d’art et concernerait les fortunes d’une valeur supérieure à
50 millions de dollars. Par la suite, cet impôt s’élèverait à 3 % pour les fortunes
de plus d’un milliard de dollars. Selon les estimations, une telle mesure rapporterait
2,75 milliards de dollars en dix ans. La proposition d'Alexandra Ocasio-Cortez
rejoint celle du sénateur Bernie Sanders, qui avait également soutenu en 2017
l’impôt sur la fortune, rappelant la déclaration de Roosevelt,
lequel mettait en garde contre les milliardaires s’ils venaient à acquérir un pouvoir excessif.
Aux États-Unis, outre les Démocrates, un certain nombre de Républicains
adhèrent également à cette idée.
2b. Propositions pour une imposition élevée des héritages
La période 1980-2019 qui, selon une étude portant sur la France, se caractérise
par l’augmentation du poids spécifique des héritages par rapport à la richesse totale,
peut être considérée comme le « retour des héritiers », comme au 19ème siècle,
lorsque les riches héritiers possédaient 80 % de la richesse totale. Cette façon
d’acquérir une fortune affaiblit les arguments visant à justifier les inégalités
selon lesquels « s’enrichir est difficile » et que les riches devraient donc être
récompensés pour cela plutôt que punis. S’ouvre ainsi la voie à une imposition
plus lourde des héritages. Cependant, bien qu'au 19ème siècle on se soit vivement
préoccupé de la nécessité d'imposer plus lourdement les héritages
afin de réduire les inégalités, il n’en va manifestement pas de même pour
la période actuelle. En revanche, l’opinion de Milton Friedman semble autrement
plus convaincante : « Il n’est pas logique de faire ce que l’on veut avec son revenu
de son vivant et de ne pas pouvoir le laisser à ses héritiers ».
Conclusion
Mêmes les néolibéraux ont fini par prendre conscience des dangers liés aux inégalités extrêmes dans la répartition des revenus, qui se sont introduits dans tous les domaines et se présentent sous diverses formes. Cela est surtout dû au fait qu’il est généralement reconnu que les grandes inégalités sont condamnables non seulement parce qu'elles sont source d’injustice sociale, mais aussi parce qu'elles constituent un obstacle sérieux à la croissance. La menace d'une stagnation séculaire dans les économies avancées d'aujourd'hui a donné lieu à une révision des vues néolibérales plus anciennes sur l'inégalité des revenus et la répartition de la richesse. Mais au-delà des menaces d’inégalités de croissance incontrôlées, les dangers concernent également la démocratie libérale, ce système occidental imposé après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La démocratie libérale, jusque récemment, se prévalait d’être un système sans successeurs, et il était certain que tous les peuples du monde l'accepteraient dès lors qu’ils auraient surmonté un certain degré de développement. Les choses ont cependant pris une tournure inattendue. En effet, la démocratie illibérale, soutenue par les populistes, s'est rapidement étendue partout dans le monde, remplaçant non seulement la démocratie libérale, mais aussi la mondialisation et le néolibéralisme/capitalisme.
Comme je l'ai déjà soutenu dans mes dernières publications (Negreponti-Delivanis, 2018a), il n'est pas du tout certain que ce nouveau système, non dépourvu d’inconvénients manifestes, ne comporte pas suffisamment d'éléments positifs. Il convient de garder à l’esprit que cela a également contribué à sensibiliser les autorités compétentes sur l’avenir du monde, sur la nécessité de s’attaquer efficacement à ce désastre que représente le fossé des inégalités.
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Notes
1. L’économiste italien créa, au milieu du 20e siècle, un indicateur permettant de mesurer le niveau d'inégalité de la répartition des revenus personnels. Cet indicateur varie de 0, soit l'égalité parfaite (tous les revenus sont égaux) à 1, soit l'inégalité extrême (une seule personne touche 99 % du revenu et tous les autres, 1 %).
2. Les chiffres de la Rιserve fιdιrale sont similaires aux rιsultats obtenus : il y a dix ans, la part des salaires dans le PIB amιricain s'ιlevait ΰ 70 %, contre 61 actuellement. Cet ιcart considιrable reprιsente les bιnιfices tirιs des investissements par les trθs riches
3. Qui ne diffèrent pas de la situation des autres économies avancées, la tendance étant similaire.
4. Ludwig von Mises (1881-1973) enseigna à Vienne et à New York et collabora étroitement avec la Foundation for Economic Education. Il est considéré comme le théoricien le plus éminent de l'École de Vienne du 20e siècle. L’article a d’abord été publié en anglais le 17 janvier 2017 et est présenté en grec avec la permission de la Foundation for Economic Education en collaboration avec le Centre d'études libérales Markos Dragoumis (KEFIM).
5. Théorie formulée pour la première fois par l'économiste Alvin Hansen en 1933, elle semble se vérifier aujourd'hui, reprise par Lawrence Summers et d'autres.
6. Telles qu’analysés dans la Partie I de cet article.
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TITRE: LES INEGALITÉS EXAGÉRÉES DE LA RÉPARTITION DES REVENUS MENACENT LA CROISSANCE, MAIS AUSSI LE CAPITALISME ET LA DÉMOCRATIΕ
Reviewed by Μαρία Νεγρεπόντη - Δελιβάνη
on
Δεκεμβρίου 23, 2019
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