EN RÉPONSE À LA VISITE DU PRÉSIDENT FRANÇAIS À ATHÈNES* par Maria Negreponti-Delivanis, 17.09.2017
EN
RÉPONSE À LA
VISITE DU PRÉSIDENT FRANÇAIS À ATHÈNES*
Emmanuel Macron, en tant
que visiteur dans notre pays la semaine passée, s'est montré agréable dans sa
communication, cultivé mais également fier car il se passionne pour l'histoire
de la Grèce antique, comme cela arrive avec les Français éduqués.
Cherchant des problèmes
(comme il est d'usage) relativement à cette visite, je m'empresse de souligner
que du côté du président Français il n'y en a pas, mais je n'en dirai pas
autant concernant les dirigeants Grecs. Le gouvernement, et aussi dans une
large mesure l'opposition, espéraient beaucoup de cette visite, et
curieusement, à sa suite, ont affiché une satisfaction extrême et absolument
injustifiée. Voyons, donc, ce que le président Français a apporté à la Grèce
avec son discours, et quelle aurait dû être la réponse du gouvernement, et
pourquoi pas de l'opposition aussi, ce qui malheureusement n'a pas été le cas.
A.
Le discours
Le discours de monsieur
Macron, si l'on met de côté ce qui avait rapport aux grandes réalisations de
nos ancêtres et aussi la tentative fort appréciée de saluer en grec, était
général et ne comportait aucune promesse précise relativement à l'allègement
des souffrances infligées par l'UE depuis quelque 8 années à la Grèce. Bien entendu,
le président Français a parlé du martyr enduré par les Grecs, mais si je ne me
trompe, j'ai discerné une certaine note à l'adresse de notre gouvernement,
prenant soin de convaincre le peuple de la nécessité de ces souffrances et
prétendant que celles-ci lui sont bénéfiques.
Monsieur Macron était
parfaitement clair, tout comme l'est d'ailleurs le ministre des Finances
Allemand, sur le fait qu'un "allègement de la dette" est hors de
question avant l'achèvement des "réformes". Pour monsieur Macron, qui
non seulement est un des élus des banquiers internationaux mais, comme il le
déclare à chaque occasion, est un libéral, les "réformes" constituent
le vaisseau amiral de sa cosmothéorie. Sachant que notre monde dispose de deux
systèmes macroéconomiques, le libéral et l'interventionniste, son choix n'est
en aucun cas répréhensible. Il est, bien évidemment, nécessaire d'ajouter que
le fonctionnement normal des économies demande que ces deux systèmes soient
associés dans leur mise en œuvre, et non que l'un s'impose dogmatiquement en
excluant l'autre. Il aurait en cela été intéressant que monsieur Macron donne
quelques précisions quant au genre de ces "réformes" que lui-même et
le ministre Allemand des Finances estiment qu'elles sont la condition préalable
à la "sortie de cette mauvaise passe" de notre pays. Il est vrai que
personne du côté du gouvernement ou de l'opposition, pas plus que du côté de
"nos partenaires" n'a jamais jugé nécessaire, tout au long de ces 8
années dramatiques, de nous informer du contenu de ces "réformes" mythifiées, de ce que l'on e n attend
exactement et de leur échéance. Car il est clair que mentionner simplement des
réformes, sans en déterminer le contenu, n'a aucun sens. Concernant la Grèce,
on sait que dès le début de la crise les "réformes", qui en réalité
ne sont pas des réformes, se limitent premièrement à la suppression totale de
toutes les améliorations acquises par les luttes sociales durant les 200
dernières années dans l'environnement barbare du marché du travail, et deuxièmement
au bradage massif de la Grèce tout entière. Les Français, bien sûr, et tout
particulièrement monsieur Macron, économiste, savent parfaitement que cela ne
relève pas de la catégorie des "réformes", comme cela est largement
enseigné dans les facultés françaises d'économie. Ils savent également que
l'appauvrissement des travailleurs donne, au-delà des résultats sociaux, des
résultats économiques pitoyables, et aussi que le bradage des ports et des
aéroports, de l'eau, de
l'électricité et en général des services sociaux sensibles de
l'État ne figure pas au chapitre des réformes, et qu'il n'est pas souhaitable
mais plutôt dangereux à tout point de vue. Par contre, une série de vraies
réformes existe, dont la Grèce a urgemment besoin, mais qui n'intéressent pas
nos partenaires.
Un autre point du
discours du président Français souligne l'importance de l'Europe, sa cohésion
qui doit être sauvegardée à tout prix, afin qu'elle joue le rôle important qui
lui appartient sur la scène économique et politique internationale, et où il va
de soi que la présence de la Grèce est absolument indispensable. Dans le même
temps, il a reconnu (indirectement mais clairement) que cette Europe doit
changer (car manifestement elle est minée par de multiples problèmes) et se
fédéraliser, en se dotant, comme principal
représentant, d'un ministre des Finances européennes. L'idée, cela va sans dire, n'est pas nouvelle,
puisque les européistes y ont pensé afin de calmer les réactions des citoyens
européens, parmi lesquels le nombre des eurosceptiques a dépassé le nombre de
ceux qui acceptent la poursuite de l'Europe unie. Cependant, hormis le fait que
cette vision à long terme a été fort justement qualifiée par le journal
allemand Die Welt, au lendemain du
discours du président Français, d' "utopie naïve", il y a dans cela
une pointe empoisonnée que monsieur Macron n'a pas hésité à saisir, et qui plus
est dès le premier instant de son entrée en fonction, provoquant de nombreuses
réactions à l'étranger (mais curieusement, pas en Grèce), et qui concerne la
refondation de l'Europe, laquelle est constituée d'États membres égaux (selon
le principe de sa convention fondatrice), en vue d'une Europe à plusieurs
vitesses. Je me demande si les membres de notre gouvernement, qui, avec un
enthousiasme si émouvant, ont parlé de l'Europe et du maintien coûte que coûte en son
sein de la Grèce, ont également accepté, sans
hésitation aucune, le fait que notre pays soit la cinquième roue de la
charrette européenne.
Il est naturel et tout à
fait compréhensible que le président Français serve les intérêts de son pays
comme il l'entend, et que par conséquent, il évite de prendre des positions ou
de faire des promesses qui pourraient lui causer des problèmes vis-à-vis de
l'Allemagne. Le renouveau de l'axe franco-allemand est au centre des efforts de
redressement du régime vacillant en Europe.
Or, cette position, ou plutôt la position de nos hommes politiques, est, que
l'on me permette ce qualificatif, incompréhensible. En deux mots, la blessante
position tributaire du gouvernement grec, renforcée aussi par son enthousiasme,
qu'on ne peut raisonnablement expliquer, à l'égard de ce qui a été dit par
monsieur Macron, est hélas la preuve qu'il a accepté l'état de COLONIE
européenne.
B. Ce que voudraient entendre les Grecs de la part de
leurs dirigeants en réponse à Emmanuel Macron
"Cher monsieur le
Président de cette grande amie la France,
Nous sommes extrêmement
heureux de vous accueillir en Grèce, et sensibles au fait que vous avez choisi
notre pays, vous et votre épouse, pour une de vos premières visites officielles
à l'étranger. Nous vous considérons comme un
ami de notre pays, c'est pourquoi, au-delà des compliments et des conventions,
nous allons vous parler avec sincérité du drame inacceptable que vit notre
peuple depuis 8 ans, avec la conviction que vous le transmettrez, de la manière
que vous choisirez vous-même, aux autres partenaires.
Pour commencer, nous
sommes d'accord avec vous sur le fait qu'il serait dommage que l'Europe se
disloque et que l'euro, en dépit de ses problèmes, doit être sauvé (si cela est
possible, évidemment). C'est pourquoi l'Europe doit fondamentalement changer et
se tourner vers ses peuples, et non vers plus de bureaucratie, d'élitisme et de
réduction de la
démocratie. La tâche est difficile, aux limites peut-être de
l'irréalisable. Nous espérons que vous y parviendrez. Mais d'ici là, la Grèce
ne peut attendre, car elle croule sous le poids insupportable de mémorandums
qui ne mènent à rien et de quasi-réformes qui l'appauvrissent chaque jour davantage.
N'écoutez pas, monsieur le Président, ce qu'il nous arrive d'affirmer pour
apaiser la colère justifiée de nos compatriotes. La Grèce ne va pas, et ne peut
aller mieux. En réalité, le chômage augmente, mais il est dissimulé par les
chômeurs de longue durée qui, dépités, ont cessé de rechercher un emploi, par
les milliers de jeunes qui sont partis pour trouver un sort meilleur loin de la
Grèce, et surtout par l'extension des formes de travail précaire où figurent
aussi ceux qui travaillent 1 ou 2 heures par semaine et sont quand même
considérés comme ayant un emploi. Par ailleurs, vous êtes vous aussi un
économiste et par conséquent vous savez que la croissance, aussi désirée
soit-elle, ne peut en aucun cas se faire dans une économie où toutes, toutes
sans exception aucune, les propensions à la croissance ont sombré. Je n'en
citerai qu'une seule qui est amplement suffisante, à savoir la demande
concernant les produits alimentaires de base, en baisse constante ces dernières
années. Et en dépit de l'appauvrissement des travailleurs, dont une large part
travaille pour 200 ou 300 euros par mois, souvent 10 à 12 heures par jour, et
en dépit du fait que le marché du travail (du fait des "réformes")
s'est transformé en jungle, nos partenaires exigent que cela continue, et qui
plus est, ils ont fortement réagi au fait que la nouvelle ministre du Travail a
tenté de faire passer dans un récent projet de loi quelques améliorations, du
reste tout à fait marginales. Les impôts de toute sorte, résultante d'une imagination
enflammée, pompent dans l'économie les liquidités jusqu'à la dernière goutte,
achevant l'œuvre inhumaine de la ponction complètement démesurée des excédents primaires exigés par nos partenaires. Les
réductions drastiques des salaires et des retraites se poursuivent résolument.
Les hôpitaux publics manquent de personnel, de médicaments de base et de gazes. Le
nombres des entreprises qui mettent la clé sous la porte est largement
supérieur à celui des créations d'entreprise. Oublions donc (entre nous maintenant)
la croissance car l'évoquer, compte tenu des conditions qui prévalent en Grèce,
est la démonstration d'un manque total de sérieux.
Or, sans croissance, il
est impossible de rembourser cette dette colossale, même pas en l'an 3000. Et
il va de soi que jusqu'à ce qu'elle en rembourse 75 %, la Grèce sera sous
supervision, toujours soumise à une quelconque
forme de mémorandum. Par conséquent, monsieur le Président, ne prenez pas au
sérieux ce que nous affirmons, à savoir que notre sortie sur les marchés est
censée nous assurer la fin des mémorandums. Au contraire même, nous paierons
alors beaucoup plus cher les emprunts... mais que faire, le peuple a besoin
d'espérer, peu importe si ces espoirs sont vains.
Partageons donc,
monsieur le Président, votre enthousiame pour l'actuelle et pour la nouvelle Europe ,
et tâchons pour l'heure de ne pas entrer en conflit avec la zone euro, quoique
dans notre cas, ce serait nécessaire. Vous admettrez néanmoins que nous avons
déjà fait d'indicibles sacrifices compte tenu de la taille et des capacités de
notre petite Grèce, afin de sauver les banques françaises et allemandes et pour
que l'Europe ne se disloque pas. Des sacrifices qui ont détruit une nation
entière et qui ont exterminé un peuple entier. Mais maintenant, la fin du monde
est arrivée et nous, l'UE et pour lui faire plaisir nous aussi, ne pouvons plus
nous moquer du peuple grec qui est au supplice et agonise. L'UE, ne serait-ce
que sans le FMI, doit assumer ses responsabilités, et cesser d'imposer à la Grèce
des programmes et des mesures dont ELLE SAIT (tout comme nous) que non
seulement ils sont tout simplement voués à l'échec, mais aussi qu'ils achèvent
sa destruction. De toute évidence, vous le savez bien, monsieur le Président,
depuis le début de la crise et constamment, on nous impose des programmes
erronés et sans issue, lesquels ne sont pas révisés pour que nul n'ait ainsi à
reconnaître son erreur, j'entends celle des partenaires européens et du FMI.
Cette erreur criminelle est néanmoins continuellement pointée du doigt par
certains dignitaires isolés de
l'UE et du FMI, mais malgré cela, on s'y accroche, portant
désormais atteinte à la survie même de la Grèce.
Cette tromperie
permanente n'est pas conforme au peuple français historique, n'est pas conforme
à la Démocratie qui, comme vous l'avez dit, est née sur la colline du Pnyx, ne
sert aucunement l'Europe. Car tôt ou tard, le peuple grec, qui est prêt et qui
n'a plus rien à perdre, va se soulever. Vous savez en outre que des économistes
renommés, parmi lesquels des Français (citons par exemple le professeur Gérard Lafay ) ont pris une
position très claire, analysant dans des livres et maints articles (ce qui
d'ailleurs est l'évidence même), comment et pourquoi les mémorandums et les
"réformes" détruisent la Grèce au lieu de la sauver.
Alors, si vous voulez
sauver l'UE de la dislocation certaine vers laquelle elle va, nous vous
demandons d'être notre précieux ambassadeur et de faire comprendre à nos
partenaires pourquoi il est urgent de réviser en profondeur les plans européens
pour la Grèce. Mais
encore, pourquoi il faut cesser d'encourager la nécessité de réaliser des
quasi-réformes, vides de contenu, et pourquoi des réformes adéquates doivent
être étudiées sérieusement, grâce auxquelles l'économie grecque pourra vraiment
s'améliorer, en se basant sur sa croissance et non sur sa contraction.
Résumons, monsieur le
Président. Pour la Grèce, c'est la capacité de croissance (rendue impossible
par les des mémorandums et les "réformes") qui compte infiniment plus
que n'importe quelle forme d'allègement de la dette. Si cette dette
est libérée de ses parts odieuse et onéreuse, et que l'on permet à la Grèce de
se développer, nous n'aurons pas besoin d'emprunts, de mémorandums, de
négociations interminables et autres violences de cette sorte. Avec un rythme
de croissance annuel de 3,5 %, que nous pouvons tout à fait atteindre, avec le
temps, nous paierons notre dette.
Une solution sincère au
problème de la Grèce est maintenant plus urgente que jamais, car il n'est plus possible
de continuer indéfiniment ces histoires sur la croissance... coucou la
voici, coucou la voilà.
Et puis, monsieur le
Président, comprenez que dans cette nouvelle Europe à plusieurs vitesses que
vous imaginez, ne serait-il pas absurde que la poursuite des sacrifices mortels
que vous nous demandez ait comme contre-poids un état de servitude qui
appartient aux temps anciens?
Merci de votre
attention,
Maria
Negreponti-Delivanis
ancien recteur de
l'université de Macédoine - Thessalonique, Grèce
présidente de la fondation Delivanis
*Un certain nombre de
points soulignés dans cet article ont fait l'objet d'une discussion dans
l'émission de Konstantinos Wills du 09.09.2017.
EN RÉPONSE À LA VISITE DU PRÉSIDENT FRANÇAIS À ATHÈNES* par Maria Negreponti-Delivanis, 17.09.2017
Reviewed by Μαρία Νεγρεπόντη - Δελιβάνη
on
Σεπτεμβρίου 17, 2017
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